AMAZONIE !
« Et vous (…) dites-moi donc si vous n’avez jamais eu peur quand vous vous tenez dans votre chambre ? Oui, n’est-ce pas ? Eh bien, en forêt vierge, c’est la même chose. On s’y tient seul. Le danger, ce sont nos propres imaginations qui le créent »
(Blaise Cendrars)
AMAZONIE !
Histoires, légendes, mythes et personnages atypiques d’Amazonie et du Brésil…
L’Amazonie, quelle histoire !
Il faut dire que l’endroit s’y prête. Cette jungle mystérieuse, vue par beaucoup d’ignorants comme un enfer vert a depuis la nuit des temps été le berceau de fables, contes et légendes variées, changeantes au fil des époques et des eaux du Grand Fleuve. Tous les personnages appartenant à la riche culture amazonienne n’ont rien à envier aux mythologies du reste du monde.
Au départ, j’ai voulu faire une sorte de recueil des contes, légendes et mythes de l’Amazonie. Et puis, je me suis aperçu que souvent, dans cette région du monde méconnue et pourtant sur laquelle on a beaucoup écrit, la réalité était légendaire, fabuleuse… Alors nous croiserons donc des divinités, des esprits, mais aussi des personnages pittoresques, des aventuriers magnifiques ou carrément allumés, et même Maria Isabel et un certain Maufrais. Sans oublier ce soldat de Louis XIV et Gros Ier. Ils n’ont rien à envier à Papa Figo, Cobra Grande ou la fille étoile.
Nous avions une cabane, dans la jungle
Mayantu, Curupira, Jurupari
Mayantu est une créature reptilienne. C’est un lutin espiègle au Brésil. Au Pérou, c’est un bon géant. Il ressemble à un gobelin avec un corps écailleux et la bouille d’un crapaud. Il a la capacité d’errer entre deux dimensions, physique et spirituelle, avec des aptitudes protéiformes lui permettant de se camoufler en un clin d’œil en prenant l’aspect d’un côté végétal ou en se transformant en serpent, en poisson… Le débonnaire se déplace nonchalamment, mais attention, il peut être féroce et redoutable.
Certains l’ayant croisé affirment qu’il évolue très haut dans la canopée de la forêt amazonienne, quasi flottant au-dessus des arbres immenses comme l’angelim où vit l’esprit Ayãtaime, et d’autres assurent l’avoir repéré au sol, dans des zones humides ou au bord de ruisseaux se jetant dans des lacs aux profondeurs abyssales…
Les muiraquitãs de la tribu des Icamiabas
Les muiraquitãs sont des artefacts lithiques trouvés à plusieurs endroits dans le bassin amazonien. Très rares, on ne peut désormais les voir que dans des musées. Mais c’est quoi exactement ?
D’abord, un artefact ou artéfact est un effet (factum) artificiel (ars, artis). Pour faire simple, en anthropologie, c’est un objet naturel ayant subi une transformation, même infime, par la main de l’homme. Et les Icamiabas ? Dans la langue tupie, il s’agit, étymologiquement, de femmes à « la poitrine cassée », kama nibard et îaba brisé. Bien sûr vous pensez immédiatement aux amazones. Cette tribu de femmes guerrières dont un sein est amputé pour ne pas gêner le tir à l’arc.
Bien vu !
Et pourtant, vous avez toujours cru, à raison, que les Amazones formaient une nation de belligérantes traditionnellement située sur les rives de la mer Noire ou en Lybie, c’est selon les historiens. En tout état de cause, c’est une légende originaire de la Grèce antique. Les Amazones apparaissent pour la première fois dans l’Iliade au VIIIe siècle av. J.-C. Encyclopaedia Universalis nous apprend qu’il s’agit « d’un peuple de femmes combattantes descendant d’Arès, dieu de la guerre, et de la nymphe Harmonie ». Elles se gouvernaient seules n’admettant les hommes que pour des travaux serviles et dégradants. Procréant avec des étrangers de passage, elles ne gardaient que les enfants de sexe féminin dont elles brûlaient le sein droit. Bon, sur toutes les illustrations, les Icamiabas (donc les Amazone d’Amazonie) ont bien leurs deux attributs mammaires.
Oui, merci pour le cours, mais alors c’est quoi le rapport avec le continent américain ? C’est simple, enfin presque : quand les premiers conquistadors débarquèrent, ils tombèrent à un moment sur une tribu de femmes vindicatives et très combatives. L’imagination aidant, exaltés par la découverte d’une forêt luxuriante peuplée d’animaux inconnus et traversée par un fleuve-océan, ils croient dur comme fer être confrontés au royaume originel des Amazones…
L’épopée de María Isabel
Au tout début de l’an 1770, deux Amérindiens s’apprêtent à mettre leur pirogue à l’eau depuis leur campement. Ils sont surpris par une apparition saisissante. Une petite silhouette sort lentement de la forêt. Une femme blanche, boitillante, avance vers eux pieds nus, vêtements déchirés, cheveux emmêlés et sales, visage marqué par les branchages, boursouflé par les piqûres d’insectes et les coups de soleil.
Ils sont encore plus sidérés en s’apercevant qu’elle s’adresse à eux dans leur langue, le quechua. Les deux Amazoniens restent sans voix et ne réagissent même pas au salut de l’apparue tant ils sont éberlués. Finalement, les deux médusés se concertent et au vu de l’état de l’inconnue, ils décident de la ramener à Taubaté. Qui est-elle et comment est-elle arrivée dans cet endroit isolé ? Naturellement, personne au village ne peut répondre à ces questions, alors, l’étrangère se présente elle-même « Je suis María Isabel de Jesus Gramesón y Godin, née Gramesón, fille de Don Pedro Gramesón y Bruno, administrateur à Riobamba, ville coloniale de la Vice-Royauté du Pérou et descendante d’Alphonse XI d’Espagne… ».
Tous les villageois en restent bouche bée. Ils n’ont jamais entendu parler du Pérou et encore moins de l’Espagne. Mais ils comprennent que la nommée María Isabel n’est pas n’importe qui.
Bien sûr, ils ignorent qu’elle est la fille de Don Pedro Gramesón y Bruno, un officier militaire d’origine française, venu au Pérou dans les années 1720 avec le nouveau vice-roi espagnol […], elle s’amouracha d’un jeune homme français aux antipodes des préoccupations et des loisirs des officiers espagnols. Jean Godin des Odonais était venu au Pérou en 1735 dans le cadre de l’expédition française chargée de mesurer l’arc du méridien. Cartographe et naturaliste, il s’était joint à la première mission géodésique française dirigée par Louis Godin (son cousin germain), débarquée dans la région de Quito pour vérifier la forme réelle de la Terre. Quand ils s’épousèrent en 1741, Jean avait 28 ans et María Isabel à peine 14. Deux ans plus tard, l’équipée géodésique prenant fin, Jean Godin se lança dans le négoce, notamment de tissus, alors qu’Isabel acheta des terres maraîchères […] Mais entre 1743 et 1792, que d’aventures et d’événements !
D’abord, Jean avait du mal à rester en place et il attendait impatiemment de participer à une nouvelle expédition dirigée cette fois par le célèbre scientifique français, astronome et encyclopédiste, Charles Marie de La Condamine (1701-1774). Mais Jean Godin des Odonais écrivit plus tard à La Condamine : « Mon épouse désirait beaucoup de venir en France ; mais ses grossesses fréquentes ne me permettaient pas de l’exposer, pendant les premières années, aux fatigues d’un si long voyage. Sur la fin de 1748, je reçus la nouvelle de la mort de mon père et voyant qu’il m’était indispensable de mettre ordre à des affaires de famille, je résolus de me rendre à Cayenne seul en descendant le fleuve [l’Amazone], et de tout disposer pour faire prendre commodément la même route à ma femme. Je partis en mars 1749 de la province de Quito, laissant mon épouse grosse. J’arrivai en avril 1750 à Cayenne. J’écrivis aussitôt à M. Rouillé, alors ministre de la Marine, et le priai de m’obtenir des passeports et des recommandations de la cour de Portugal pour remonter l’Amazone, aller chercher ma famille, et l’amener par la même route ».
Il entreprit d’organiser son voyage, dès l’automne 1748…
Le couple ne fut réuni que presque vingt ans plus tard, à Oiapoque…