Vengeance dans la chambre commune

 

Paulo est trentenaire. Il en paraît dix de plus. Gros, rougeaud, un mégot éternellement planté dans le bec. Sa vie de célibataire endurci est réglée comme du papier à musique. Il habite à l’hôtel, depuis qu’il est orphelin. Une chambre d’une tristesse infinie, louée à l’année.

Sa mère lui a confectionné ses repas jusqu’au lundi 15 août 2022 inclus. Ce jour-là, elle est passée sous un camion de poubelles manœuvré par le fils du garde du corps du maire. Le type était sujet à des crises d’épilepsie entretenues par son goût immodéré pour les cigarettes hilarantes et la gnôle chagrinante. Affligé d’une mémoire labile, il n’avait jamais réussi à obtenir son permis de conduire. Il avait dû l’acheter.

Quand il a appris la triste, stupide et horrible fin de sa pauvre, vénérée, discrète et dévouée maman, Paulo est allé à l’hôpital avec un sang-froid olympien et une certaine détermination chevillée au corps. À l’hôpital, oui, non pas à la morgue où on avait rassemblé tant bien que mal les morceaux ensanglantés et gluants de la digne écrabouillée, où on attendait sensément son rejeton pour l’identifier. Non, il s’est présenté à l’accueil de l’hôpital municipal, il a poliment demandé où était alité le chauffeur débile du camion fou et s’il avait refait surface.

« — Chambre commune au deuxième étage », lui avait répondu une grosse fille, ajoutant que l’homme en question avait effectivement repris connaissance.

Cordosa (c’était le nom du type) était allongé dans un lit-cage antédiluvien parmi d’autres lits encore plus vétustes dans une salle longue comme la liste des chefs d’inculpation retenus contre le maire. Murs pisseux, sol crasseux. L’odeur de la mort flottait dans l’air chaud brassé par des ventilateurs capricieux made in China.

Le maire et sa famille ne viennent jamais à l’hôpital municipal. Ils préfèrent l’établissement Syro-libanais de São Paulo ou le Jackson Memorial de Miami. On les comprend.

Paulo ne prêta aucune attention aux râles des agonisants, aux sanglots des néo-veuves, aux couinements des rats derrière les plinthes. Il se dirigea calmement, sans hésiter une demi-seconde, vers le pucier de Cordosa. Et il étrangla le chauffeur, sur le champ. Soigneusement, avec ses grosses paluches. L’autre n’a même pas émis un son, juste un gloussement quand ses lèvres sont devenues très bleues et ses yeux très rouges.

Sans être inquiété le moins du monde, Paulo est ressorti de l’établissement avec un flegme ostentatoire. Puis il a pris un taxi. Pour se rendre à la mairie. Là, il a demandé à voir le conseiller municipal chargé de la voirie. On l’a fait entrer dans un grand bureau. Un petit homme rondouillard l’a chaleureusement accueilli. Paulo a ignoré la main tendue par le politicien. Il lui a flanqué un coup de boule magistrale en pleine gueule. Bien violent. Ajusté aux petits oignons. Du travail soigné. Le gars s’est donc pété le cou sur le rebord d’un meuble, un superbe bar en acajou style Harry’s Bar de Singapour doté d’un plateau de jeu d’échecs. On n’a jamais retrouvé la tour blanche en ivoire.

Paulo Costa a été interpellé et appréhendé le lendemain. On l’a jeté en cellule. On l’a présenté à un juge. Complétement sénile le magistrat :

« — Le maire est bon, il vous absout… Le maire est bon, il vous absout… »

Il avait un petit chapeau rond comme les Péruviens, ou les Boliviens, ou les Londoniens de la City.

On a mis la mort du conseiller municipal sur le compte d’un malencontreux accident. Il avait dû glisser et heurter deux fois le sol. Quant à celle du chauffeur, on a évoqué dans la presse une erreur de diagnostic, toutefois personne ne s’expliqua le soudain effondrement de son état physique.

On libéra Paulo juste à temps pour qu’il puisse assister à l’enterrement de sa mère.

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À bicyclette…

Et donc Chico tenait le revolver encore fumant

© Philippe Poigeaud 2022