Le Pérou a récupéré un précieux manuscrit sur les Incas, volé par le Chili il y a 150 ans, pendant la guerre du Pacifique

Le manuscrit intitulé « Souvenirs de la monarchie péruvienne ou aperçu de l’histoire des Incas » a été écrit dans les années 1830 par Justo Apu Sahuaraura Inca

L’ouvrage disparut au moment où les troupes chiliennes occupèrent Lima en 1879, pendant la guerre du Pacifique. C’est un manuscrit précieux racontant les souvenirs des anciens dirigeants incas et qui aurait une valeur incalculable.

 

Justo Apu Sahuaraura inca (1775 – ?), descendant par la lignée maternelle de l’empereur inca Huayna Cápac (1493-1527) et du Prince Christopher Paullo inca (1518-1549), était un noble inca et un héros de l’indépendance péruvienne. Il était donc le descendant direct de Tupac Yupanqui (empereur des Incas entre 1471 et 1493). Il a commencé ses études au Colegio San Francisco de Borja et les a poursuivies au Colegio de San Bernardo. Il est allé à l’Université de San Antonio Abad, où il a étudié la théologie et le droit canonique. Puis il fut médecin. Il finança la révolution de 1814 et fut proche de Simón Bolívar.

Il publia les Mémoires de la monarchie péruvienne ou un aperçu de l’histoire des Incas à Paris en 1850. Il a laissé des manuscrits dont une anthologie de la littérature incanique et le codex du drame d’Ollantay qui raconte, en 2000 vers, une passion amoureuse contrariée par la religion et la raison d’État. Écrit en quechua classique, il est considéré comme étant d’origine inca.

Le manuscrit Sahuaraura est considéré comme un élément fondamental de l’historiographie et de la culture péruviennes. Il a été perdu pendant un siècle et demi. En fait, durant la guerre du Pacifique (1879-1883) il a mystérieusement disparu de la grande Bibliothèque de Lima.

La guerre du Pacifique, également appelée Guerra del Salitre (« guerre du salpêtre » ou « guerre du nitrate ») est un conflit armé qui opposa le Chili au Pérou et à la Bolivie. Elle coûta à la Bolivie son unique accès à la mer. Le Pérou, quant à lui, perdit la région de Tarapacá. Depuis la fin de cette guerre, ces deux régions font partie du territoire chilien.

Mémoire des Incas

Membre de la noblesse indigène de Cusco, prêtre catholique et héros de l’indépendance du Pérou, Sahuaraura s’est consacré à sauver la mémoire de l’Empire inca, qui couvrait aux XVe et XVIe siècles la partie occidentale de l’Amérique du Sud du sud de la Colombie au centre de Chili. Il se faisait appeler le « dernier descendant de la lignée impériale des Incas ». Pour ce manuscrit, Sahuaraura a consulté des documents (aujourd’hui disparus) pour dépeindre la période inca jusqu’à l’arrivée des Espagnols au XVIe siècle.

Ce document dont la valeur est inestimable a « toujours été considéré comme un bijou documentaire extrêmement rare, nous n’avons pas d’autre cas de cette nature », explique Gerardo Trillo, directeur de la protection des collections de la Bibliothèque nationale, lors de la présentation du précieux manuscrit retrouvé au… Brésil !

Le texte contient des informations sur l’Inca Garcilaso de la Vega, le premier intellectuel métis d’Amérique (1539-1616), ainsi qu’une série de récits jusqu’à l’entrée des Espagnols à Cusco, la capitale de l’Empire inca, dans le sud-est du Pérou. En outre, il comprend une chronologie inca.

Ce serait donc des soldats chiliens qui auraient volé le manuscrit, non pas pour le déposer au musée de Santiago comme un trophée, mais beaucoup plus prosaïquement pour le vendre à des collectionneurs.

En novembre 2019, une grande famille brésilienne (les Mindlin qui prévoyaient de la vendre aux États-Unis lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s) a finalement accepté de remettre le manuscrit (qu’elle détenait depuis 1970) à la Bibliothèque nationale du Pérou, par l’intermédiaire du consulat péruvien à São Paulo lors d’une cérémonie. La Direction des bibliothèques du Chili avait déjà restitué au Pérou, ces dernières années, 4 518 livres et documents sortis des bibliothèques et couvents péruviens lors de la guerre du Pacifique.

Le texte de Sahuaraura est considéré comme une partie fondamentale de l’historiographie péruvienne et un document bibliographique d’une valeur culturelle sans précédent dans l’histoire des Amérindiens.

 « Il n’y a que cette copie, qui nous raconte aussi très clairement une période de notre histoire que nous devons tous connaître et étudier », a déclaré le ministre péruvien de la Culture, Francesco Petrozzi.

Le récit propose une généalogie étonnante qui raconte l’histoire de l’Empire des Incas et de ses élites sur un vaste territoire précolombien dont la capitale était à Cusco, Cuzco ou Qosqo (en quechua) située dans le sud-est de l’actuel Pérou au milieu de la cordillère des Andes. Aujourd’hui, c’est la capitale de la Province de Cusco et de la Région (departamento) de Cusco. La légende veut que la ville ait été fondée au XIe siècle par Manco Capac et Mama Ocllo après leur « naissance » dans le lac Titicaca. Avant l’arrivée des conquistadors, la ville était partagée en quatre quartiers, occupés par les Incas et des ressortissants des tribus colonisés de leur empire.

Le manuscrit commence par le règne du premier empereur Manco Cápac, fondateur de la culture inca, jusqu’à Túpac Amaru, dernier sapa inca (empereur) de la dynastie de Manco Inca, qui a dirigé la plus grande rébellion anticoloniale d’Amérique latine au XVIIIe siècle.

L’auteur de l’exceptionnel manuscrit serait né vers 1775 et aurait été relativement célèbre et proche de Simón Bolívar. Mais il semble que les deux hommes se brouillèrent. On ne connaît ni le lieu ni les circonstances, ni la date de sa mort. Au Pérou ou en Europe…

Les autorités culturelles péruviennes souhaitent retracer l’aventure du manuscrit depuis sa disparition et invite tous les collectionneurs qui l’auraient eu en leur possession à se manifester.

Le manuscrit sera numérisé et accessible aux chercheurs et au public.

 

Sources :

Clarin, média argentin basé à Buenos Aires

La presse péruvienne et la BBC

Le Ministère des Affaires Culturelles et la Bibliothèque nationale de Lima (Pérou)

Toutes les images viennent de la Dirección de Protección de Colecciones de la Biblioteca Nacional (Lima, Pérou)