Violences au Brésil pour quelques hectares : trois vies en sursis

Des gangs à la solde de sociétés agro-alimentaires soutenues par Bolsonaro menacent des juges, des journalistes, des petits paysans

La juge Joana Sarmento de Matos sous très haute protection.

L’agriculteur militant Cosme Capistano da Silva : “Ma vie vaut une dizaine d’hectares !”

Le journaliste Vinícius Lourenço a déjà été victime d’une tentative d’assassinat en août dernier.

Le Brésil est un pays violent. Selon l’Atlas de la violence 2021, réalisé par l’Institut de recherche économique appliquée (Ipea) en partenariat avec le Forum brésilien de la sécurité publique (FBSP), 45 503 homicides ont été enregistrés dans le pays en 2019, ce qui correspond à un taux de 21,7 décès pour 100 000 habitants. Soit 124 meurtres par jour. L’Organisation mondiale de la santé considère qu’un taux supérieur à 10 décès pour 100 000 habitants est une épidémie. C’est-à-dire qu’il se propage sans contrôle. À titre de comparaison, au cours de la même année, l’Argentine a enregistré un taux de 5 homicides pour 100 000 habitants, et l’Espagne seulement 0,6.

La menace de mort visant la juge Joana Sarmento de Matos, du tribunal des exécutions pénales de Boa Vista, à Roraima, a été ordonnée par le premier commandement de la capitale depuis l’intérieur du pénitencier agricole de Monte Cristo. L’ordre a été trouvé griffonné sur le couvercle d’un panier-repas saisi lors d’une fouille. L’agriculteur Cosme Capistano da Silva est le prochain nom sur la liste des cibles qui circulent entre les mains des hommes armés dans la région de Boca do Acre, dans l’État d’Amazonas, où l’on tue ou meurt pour quelques hectares. Pour le journaliste Vinicius Rosa Lourenço, de Magé, dans la Baixada Fluminense, l’attaque est survenue sans avertissement ni menace préalable, sous la forme d’une fusillade. Bien qu’ils soient en danger, ils insistent tous les trois pour continuer à se battre dans un pays où la différence entre la vie et la mort peut tenir en une phrase, un titre de journal ou la lutte pour une terre.

La juge Matos traite des conséquences directes de l’avancée écrasante des factions criminelles au Brésil. « Être juge est déjà une activité qui comporte des risques », dit-elle. Dans un État frontalier, « la situation est encore pire », dit-elle, en faisant référence aux routes de trafic qui traversent Roraima, en provenance du Venezuela, du Guyana, de la Guyane française et des cours d’eau amazoniens. Ces routes ont suscité l’intérêt des deux principaux gangs du pays, le Premier commandement de la capitale, né à São Paulo, et le Commandement rouge de Rio de Janeiro, des factions qui ont trouvé un terrain fertile pour se développer à l’intérieur des prisons et dans les rues des périphéries abandonnées, laissant derrière elles une cicatrice qui traverse le pays du nord au sud. Au Roraima, où travaille la magistrate, la capitale, Boa Vista, où l’atmosphère était autrefois celle d’une ville de campagne, est aujourd’hui le théâtre de meurtres commis avec la plus grande cruauté : têtes et membres coupés, corps calcinés…

Photos : Conselho Nacional de Justiça, Federação Nacional dos Jornalistas, El País.

Joana est donc juge à Boa Vista, responsable de toutes les décisions concernant la vie des prisonniers d’État : qui peut sortir, qui change de régime pour bonne conduite et qui va à l’isolement pour avoir commis des infractions. Elle est menacée de mort par trois factions criminelles : le PCC, le Comando Vermelho et le Sindicato vénézuélien. Pour garantir sa sécurité, depuis six ans, elle ne roule qu’en voiture blindée et porte des gilets pare-balles. Elle est toujours escortée par deux policiers militaires armés de fusils, qui l’accompagnent partout, qu’elle aille chez son dentiste, au salon de beauté ou ailleurs.

Le cas de l’agriculteur Cosme Capistano da Silva

Cosme a vécu les difficultés de l’esclavage moderne dans les campagnes depuis son enfance et a fait de la défense des petits agriculteurs la cause de sa vie. L’agriculteur, agent de la Commission des terres pastorales, a réussi à mobiliser 2 152 familles qui occupent une vaste zone de conflit foncier à Boca do Acre, dans l’État d’Amazonas. Son combat social a fait de lui l’ennemi juré des bûcherons, des grileiros (accapareurs de terres) et des grands propriétaires terriens.

Le cas du journaliste Vinícius Lourenço

Vinícius est un journaliste et un militant politique de Magé, une sorte de Far West des temps modernes dans la région de Baixada Fluminense à Rio de Janeiro. Il a toujours été passionné par l’actualité. Il a créé et édité des journaux locaux pour apporter des informations aux habitants de la ville. Cela a mis sa vie sous les feux de la rampe. Après avoir publié une série de rapports dénonçant le népotisme au sein de la mairie, il a été la cible d’une attaque par balles. Il est entouré de violence : il se trouvait au domicile d’un collègue journaliste lorsqu’il a appris que celui-ci avait été abattu. Aujourd’hui, il vit pratiquement enfermé dans sa forteresse entourée de caméras de sécurité.

Sources : Mouvement brésilien des Sans-terres, El País Brasil, DPF (policia federal), Ibama (agence de protection de l’environnement avec pouvoirs de justice), Brasil de fato, The Intercept Brasil.