Xokleng

Un peuple décimé

Brésil

Jour crucial pour la délimitation des terres amérindiennes

Reprise d’un procès fleuve interrompu en… 2021

 

La Cour suprême du Brésil reprend ce mercredi 7 juin ses débats en vue d’un jugement crucial pour les populations indigènes, car il pourrait remettre en cause la démarcation des terres qui leur sont réservées, et qui sont considérées comme un rempart contre la déforestation. Des débats interrompus en… 2021.

Des centaines d’autochtones sont sur place à Brasília et le procès sera retransmis à l’extérieur du tribunal, sur un écran géant installé sur une pelouse à côté de la Praça dos Três Poderes, devant le bâtiment de la Cour. La présidente de la Cour, la ministre Rosa Weber, a précisé que 50 sièges de la session plénière seront réservés aux leaders indigènes.

La sécurité autour du STF est prise en charge par le Secrétariat à la Sécurité Publique du District Fédéral.

ont été déplacés de leurs territoires à plusieurs reprises, en particulier pendant la dictature militaire (1964-1985), ce qui rend impossible la détermination de leur présence en 1988. 

Selon l’ONG Institut Socio-Environnemental (ISA), près d’un tiers des plus de 700 réserves indigènes déjà délimitées au Brésil pourraient être impactées.

Ce procès est d’autant plus crucial que la Chambre de députés a approuvé la semaine dernière un projet de loi validant cette interprétation, un revers important pour le président Lula da Silva, qui s’est engagé à faire de la défense des indigènes une priorité. Le texte doit encore être soumis au Sénat. Seuls deux des dix juges qui composent actuellement le Tribunal suprême fédéral (STF) avaient voté, l’un pour et l’autre contre, quand le jugement avait été suspendu en septembre 2021. Car les débats durent depuis 2021. L’issue définira les modalités du processus de démarcation des terres des peuples indigènes dans tout le pays.

Les magistrats de la Cour suprême fédérale doivent valider ou rejeter le « cadre temporel », défendu par le lobby de l’agronégoce (multinationales de l’agro-alimentaire), une thèse qui ne reconnaît comme ancestrales que les terres occupées par les indigènes quand a été promulguée la Constitution en 1988. Les peuples indigènes considèrent que la Grande Charte reconnaît leurs droits sans prévoir de « cadre temporel » et affirment qu’ils 

La discussion sur le repère temporel traîne donc en longueur et définira la manière dont le processus de démarcation des terres indigènes doit se dérouler. Le thème oppose les ruralistes et les peuples autochtones. Les ruralistes roulent pour les multinationales, mais aussi pour les exploitants clandestins des forêts amazoniennes et de la côte atlantique. Ils avaient un soutien de poids en la personne de Bolsonaro. Le lobbying des ruralistes passe très souvent par l’achat de parlementaires tant à la Chambre qu’au Sénat.

La thèse défendue par les ruralistes est que la démarcation d’une terre indigène ne peut se faire que si l’occupation de l’espace requis a eu lieu avant le 5 octobre 1988, date de la promulgation de l’actuelle Constitution fédérale. Cette approche ne tient pas compte du fait qu’un certain nombre de groupes et de villages indigènes ont été expulsés de leurs territoires et persécutés à cette époque.

L’exception dans le cadre de cette thèse est l’existence d’un conflit réel sur la propriété du terrain en question, avec des circonstances factuelles ou une « controverse de possession judiciarisée ». D’où les nombreux scandales tout au long du XXe siècle dans le cadre d’accaparements illégaux de terres avec souvent la complicité de l’armée et de juges corrompus, notamment durant la dictature.

L’astuce des délais était déjà connue dans les milieux juridiques avant la Constitution de 1988. Mais ce n’est qu’en 2009, lorsque la Cour suprême fédérale a jugé la démarcation de la terre indigène Raposa Serra do Sol, qui abrite les peuples Macuxi, Taurepang, Patamona, Ingarikó et Wapichana (dans l’État de Roraima) que cet argument est devenu juridique.

Les peuples indigènes considèrent que la Grande Charte reconnaît leurs droits sans prévoir de « cadre temporel » et affirment qu’ils ont été déplacés de leurs territoires à plusieurs reprises, en particulier pendant la dictature militaire (1964-1985), ce qui rend impossible la détermination de leur présence en 1988. Des experts soulignent la difficulté pour les peuples indigènes, qui ont une tradition orale, à prouver des faits remontant à plus de 30 ans.

De nombreux scientifiques estiment que les réserves indigènes jouent un rôle essentiel dans le combat contre le réchauffement climatique, en tant que remparts face à la déforestation, qui a fortement augmenté sous le mandat de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022).

Images en noir & blanc : archives de la Funai (agence de protection & d’études des peuples autochtones, SPI avant 1967)

Walter de Oliveira, chef du peuple Macuxi de la réserve indigène Raposa Serra do Sol à Roraima, estime que si la thèse du « cadre temporel » prévaut « les invasions de bûcherons, de garimpeiros (hommes travaillant dans les mines d’or illégales), de voleurs de terres et d’agriculteurs » se multiplieront sur les terres indigènes, même sur celles déjà délimitées.

Xokleng

Par le passé, les indigènes Xokleng de Santa Catarina ont été durement combattus et presque décimés par les bugreiros, nom donné dans le sud du Brésil aux miliciens engagés pour attaquer les indigènes. Les Xoklengs (ou encore Xoclengues) sont un groupe indigène du Brésil dont le territoire se trouve dans l’État de Santa Catarina. On les rencontre encore dans les réserves d’Ibirama, de Posto Velho et de Rio dos Pardos. On les appelle également botocudos. Leur langue est le xoclengue.

Les Xokleng ont été brutalement persécutés et expulsés par des milices armées pour faire place aux colons européens. Ce peuple et ses drames sont désormais au cœur de l’audience de la Cour suprême (STF) sur le cadre temporel (marco temporal en portugais du Brésil).

Le tribunal évaluera si la terre indigène Ibirama La-Klãnõ – habitée par les Xokleng et par deux autres peuples, les Kaingang et les Guarani – doit incorporer ou non les zones revendiquées par le gouvernement de Santa Catarina et par les occupants de propriétés rurales.

Les populations indigènes, quant à elles, s’opposent à l’application de la borne temporelle, car elles affirment que de nombreuses communautés ont été expulsées de leurs territoires d’origine avant 1988.

C’est l’argument utilisé par les Xokleng dans le procès devant le STF : ils affirment que des décennies de persécutions et de meurtres ont contraint le groupe à quitter le territoire qu’il tente aujourd’hui de reprendre.

“Nous n’avions pas de frontières, nous marchions dans tout cet espace. Mais nous étions sous tutelle, nous n’avions aucun moyen de répondre de nous-mêmes. Nous parlions à peine le portugais et nous nous imaginions nous défendre”, a déclaré à BBC News Brazil Ana Patté, jeune dirigeante Xokleng, membre de l’Association des peuples indigènes du Brésil (Apib) et conseillère parlementaire du député de l’État Isa Penna (PSOL-SP).

Patté affirme que le territoire en litige était utilisé par les Xokleng pour la chasse, la pêche et la cueillette de fruits, en particulier de pignons de pin. Le territoire autochtone d’Ibirama La-Klãnõ a été délimité en 1996 et, en 2003, sa superficie a plus que triplé, passant de 15 000 à 37 000 hectares.

La zone en litige aujourd’hui fait partie de la partie incorporée en 2003 et est partiellement occupée par des plantations de tabac – une activité qui, selon Patté, a entraîné la contamination des sols et des rivières de la région par des pesticides.

Selon elle, si le STF juge que la demande de la communauté est valable, la zone contestée sera reboisée, ce qui sera bénéfique non seulement pour les Xokleng mais aussi pour tous ceux qui dépendent des rivières qui traversent ces terres.

Le gouvernement de Santa Catarina affirme que cette zone était publique et qu’elle a été vendue à des propriétaires terriens à la fin du 19e siècle.

Il existe encore de nombreuses demandes de démarcation qui n’ont même pas été analysées par le gouvernement – le Conseil missionnaire indigène (Cimi) dénombre 537 cas de ce type.

Sources : Archives personnelles, Sumauna, Globo, CNN Brasil, Survival.