Vendredi sanglant à Rio
C’était durant les années de plomb de la dictature brésilienne, il y a exactement 55 ans, le vendredi sanglant du 21 juin 1968 à Rio de Janeiro.
Une manifestation d’étudiants devant le bâtiment du Jornal do Brasil a fait l’objet d’une répression violente. On ne connaît toujours pas le bilan exact du nombre de victimes. Si la dictature déclara officiellement trois morts, les historiens estiment aujourd’hui qu’il y a eu entre 30 et 50 tués et au moins 80 blessés. On évalue également à un millier le nombre d’arrestations. O Sexta-feira sangrenta fait toujours l’objet de recherches et aucun consensus sur le nombre de victimes ne se dégage.
On ne sait même pas combien de jeunes gens, sur le millier de personnes arrêtées, ont disparu.
Selon les données du Centre de documentation d’histoire contemporaine de la Fondation Getúlio Vargas, il y a eu une trentaine de morts et des dizaines de blessés. Dans la rubrique consacrée à ce sujet, l’institution précise que ce chiffre a été obtenu grâce aux registres des hôpitaux.
Dans l’édition du 22 juin 1968, le Jornal do Brasil a rapporté l’épisode sanglant avec une photo à la Une. Selon le texte, la manifestation a fait un mort parmi les policiers et probablement deux parmi les civils. On dénombre également environ 80 blessés. Le volume 3 du rapport de la Commission nationale pour la vérité identifie soigneusement les 45 personnes dont il a été confirmé qu’elles ont été tuées par le régime militaire brésilien les 21 et 22 juin 1968.
Le sociologue Paulo Niccoli Ramirez, professeur à la Fondation de l’École de sociologie de São Paulo et à l’École supérieure de publicité et de marketing (ESPM), a expliqué à BBC News Brasil que la difficulté d’obtenir le nombre exact de victimes est due au manque de transparence de la dictature militaire. « En premier lieu, il y avait la censure. Ensuite, les militaires ne voulaient pas rendre public le nombre exact [de victimes] afin de ne pas susciter un plus grand mécontentement à l’égard du régime, sur la base de ce qui pourrait circuler, y compris dans les médias », estime M. Ramirez.
Pour l’historien Victor Missiato, chercheur au Groupe des intellectuels et de la politique dans les Amériques, de l’Universidade Estadual Paulista (Unesp), et professeur au Mackenzie Presbyterian College Tamboré, « le nombre de morts est très incertain, très imprécis ».
Histoire d’une répression sanglante annoncée
Les esprits se sont échauffés le 18 juin, lorsque le leader étudiant Jean Marc von der Weid a été arrêté à la fin d’une manifestation. Une autre manifestation étudiante a lieu le 19, violemment réprimée par la police. Le lendemain (le 20 juin), des centaines d’étudiants se sont rassemblés dans le théâtre Arena de la faculté des sciences économiques de l’université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et ont forcé le recteur et le conseil universitaire à débattre avec eux de la situation de l’enseignement supérieur. À leur sortie, les jeunes ont été violemment réprimés par des coups de matraque et des tirs. Plus de 300 d’entre eux ont été arrêtés et emmenés sur le terrain de Botafogo, où ils ont été battus et humiliés. Le scénario se met en place. Dans ce contexte de dictature militaire, la révolte étudiante s’est retournée contre le régime. Mais ce n’est pas tout. Nous sommes en 1968 et les vents de manifestations similaires provenant d’autres parties du monde, notamment en France, soufflent également sur le Brésil.
Le vendredi fatidique
Le vendredi sanglant a surtout été une sorte de point culminant de ce mécontentement. En fin de compte, les jeunes, soutenus par les Cariocas, ont décidé de se rebeller et cela a enflammé une partie du reste de la population civile. Il en est résulté une bataille rangée entre les étudiants et la police.
Dans le cas du Brésil, il s’agit d’abord d’une opposition au régime militaire (au pouvoir depuis avril 1964) et d’une lutte pour la démocratie.
Les étudiants universitaires ont été les protagonistes de cette lutte et sont donc devenus la cible des militaires. De plus, beaucoup d’enseignants étaient mis à la retraite d’office par la dictature.
Le 21 au matin, ce qui devait être une nouvelle marche étudiante contre la dictature dans le centre de Rio a commencé dans un climat de guerre. Armés de bouchons et de billes, les étudiants entravent les chevaux de la police, les faisant tomber. D’un côté, il y avait des tirs à balles réelles, de l’autre des pierres. Des hélicoptères ont même été utilisés pour lancer des bombes lacrymogènes. En début d’après-midi, la confusion s’est étendue à une grande partie du centre-ville de Rio. L’affrontement ne s’est terminé que dans la nuit.
Avec le coup d’État militaire de 1964, la restriction des activités du mouvement étudiant a été étendue : l’Union nationale des étudiants (UNE) a été fermée, il a été interdit aux étudiants de tenir des réunions et les congrès de l’UNE entre 1966 et 1968 ont dû se tenir clandestinement. En ce qui concerne l’investissement dans l’éducation, le gouvernement militaire entend stimuler la privatisation des universités et s’allie à l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), cherchant ainsi à réduire les dépenses de l’État.
Evandro Teixeira, l’un des photojournalistes qui a enregistré l’épisode (ses images ont été publiées par le Jornal do Brasil, où il travaillait) commentera des années plus tard qu’il s’agissait de « l’un des jours les plus sanglants que […] Rio de Janeiro ait connu à l’époque ».
Dictature renforcée
Le vendredi sanglant a été l’un des événements qui ont motivé, cinq jours plus tard, la célèbre Passeata dos Cem Mil, une manifestation qui a rassemblé des artistes, des intellectuels et des faiseurs d’opinions, tous dans la rue contre la dictature militaire.
De son côté, le gouvernement a également réagi avec fermeté. Le climat d’opposition grandissant a fini par être contré par une répression accrue. Et on peut malheureusement dire que la dictature en est sortie renforcée. L’état d’exception a finalement favorisé la censure généralisée. Non pas que cela ne se soit pas produit depuis 1964, mais à la fin de l’année 1968, l’AI5 [Acte institutionnel numéro 5, du 13 décembre 1968, le cinquième des 17 décrets de la dictature] a malheureusement donné une légitimité légale aux militaires pour agir de la manière la plus dure possible.
Les images sont des photos prises à l’époque par le journaliste Evandro Teixeira.
Pour en savoir plus, consulter le site Memorial da Democratia.