Brésil : l’ubérisation en cause

Uber est très populaire au Brésil. Mais les chauffeurs gagnent difficilement leur vie et doivent conduire plus de dix heures par jour. Deux amis d’enfance cariocas ont décidé de créer une en/se pour aider ces conducteurs, souvent endettés. Mais, en discutant avec ces travailleurs, Pedro Inada et Luiz Neves deux trentenaires se sont aperçus que ce dont souffraient le plus les chauffeurs Uber étaient la solitude et l’insécurité.

C’est ainsi qu’est né StopClub. Dotée d’un capital social de 10 millions de réais (environ 2 millions d’euros), obtenu après un tour de table avec des investisseurs, la start-up s’est installée dans un parking vide de Humaitá, un quartier de la zone sud de Rio, et a commencé à fonctionner comme une halte pour les chauffeurs Uber. Ils s’y retrouvaient entre deux courses pour laver leur voiture, prendre une collation, se faire couper les cheveux et discuter. Douze points de ce type ont été créés dans différentes villes du Brésil, mais la pandémie a frappé et ils ont tous dû être fermés. Pour ne pas laisser mourir l’entreprise, l’opération a été transférée à une application, avec d’autres fonctionnalités telles que le chat pour échanger des conseils sur les itinéraires urbains et un outil d’enregistrement vidéo des trajets, à titre de mesure de sécurité. StopClub s’est ainsi ouvert à la publicité et à la vente d’assurance automobile. Puis, après la crise sanitaire, la start-up a retrouvé toutes ses fonctionnalités.

Solitude et insécurité

« Au fil du temps, les chauffeurs eux-mêmes ont commencé à suggérer la création d’un outil permettant de calculer les gains des courses », explique Pedro Inada. En mars de cette année, il a lancé les fonctionnalités qui allaient devenir le plus grand atout de l’entreprise, en affichant des données qui ne figurent pas sur l’interface d’Uber lorsqu’une nouvelle course est proposée : la destination finale du trajet et un calcul des gains réels de la course. Avec ces données en main, la personne au volant dispose de plus d’éléments pour décider d’accepter ou de refuser l’appel. Et il est possible que l’application effectue le refus automatiquement, sur la base de calculs de la marge de rentabilité.

Le succès auprès des conducteurs a été immédiat. En février, StopClub comptait 87 000 utilisateurs actifs, aujourd’hui, il en compte plus de 530 000. Tout le monde était content sauf… Uber !

Au tribunal

Les avocats d’Uber sont passés à l’attaque. Ils ont déposé une plainte auprès de la Cour de justice de São Paulo, accusant StopClub d’inciter les chauffeurs à commettre un « acte illégal et abusif ». Ils affirment que la société a interféré avec le fonctionnement régulier de l’application Uber et a accédé illégalement aux informations privées de ses utilisateurs.

StopClub rétorque que ses outils sont basés sur un code source ouvert, ils interagissent avec les données d’Uber qui sont déjà publiques, ne violant ainsi aucune donnée sensible de l’entreprise ou de l’utilisateur. Et ajoute : « La logique d’Uber est de toujours maintenir le tarif bas pour le passager et d’augmenter les coûts pour le chauffeur. Le refus automatique s’est avéré fondamental pour nos clients ».

Dans son action en justice, Uber demande la désactivation immédiate du refus automatique des courses, précisément l’outil qui est devenu viral parmi les chauffeurs, avec une pénalité journalière de 50 000 R$ si la décision n’est pas respectée. Elle demande également 100 000 R $ de compensation pour préjudice moral, « compte tenu de l’atteinte à l’honneur d’Uber causée par les actes illégaux ».

En première instance, le juge qui a avoué ne rien comprendre aux deux applications en cause a quand même donné raison à… Uber !

En appel, un autre juge a débouté Uber estimant que « que la demande d’Uber n’était pas étayée par des preuves substantielles ». Les chauffeurs ont recommencé à utiliser les outils et se sont réjouis sur les médias sociaux.

 

Ilustração : Caio Borges

 

Sources : Folha de São Paulo, Revista Piauí, Globo