Aujourd’hui, les théories du complot suprémacistes blanches, anti-LGBTQ+ et même antisémites sont devenues si répandues que ce qui était tabou il y a peu est accepté par beaucoup comme étant non seulement normal, mais recevable, constate le grand spécialiste de l’extrême droite, Spencer Sunshine*.

Pendant des années, beaucoup d’observateurs de l’extrême droite ont espéré que les forces libérées par l’ascension de Trump en 2016 atteindraient un point d’effondrement, comme cela s’est déjà produit dans le passé. Ces espoirs étaient d’abord liés à la défaite électorale de Trump (d’abord en 2016, puis en 2020), puis à une délégitimation attendue après l’insurrection du 6 janvier. Mais ce ne fut pas le cas, et même en l’absence de nouveaux événements très médiatisés, la base militante de l’extrême droite est restée très solide et influente sous la présidence Biden. L’examen de ses organisations et de ses stratégies, ainsi que des enjeux de l’année écoulée, montre ce avec quoi il va falloir compter lors de la campagne présidentielle de 2024. Et c’est assez effrayant.

Violences, attentats, guerre civile ?

Donald Trump reste la figure de proue de l’extrême droite, avec des partisans dévoués et il est au centre de la couverture médiatique. Comme d’ailleurs Marine Le Pen en France.

Les experts qui observent l’extrême droite s’inquiètent des violences possibles si Trump ne devient pas président. David Neiwert, auteur de The Age of Insurrection, affirme que même s’il ne gagne pas, ses « partisans purs et durs vont se livrer à des actes de terrorisme intérieur ». S’il est reconnu coupable et condamné à une peine de prison, David Neiwert pense qu’ils pourraient même aller jusqu’à « essayer de le faire sortir de prison ». Le journaliste Teddy Wilson, éditeur de Radical Reports, est tout aussi pessimiste, affirmant qu’« un autre événement faisant de nombreuses victimes » comme l’attentat à la bombe d’Oklahoma City en 1995, qui a tué 168 personnes, est tout à fait envisageable. La professeur Amy Cooter, auteur de Nostalgia, Nationalism, and the US Militia Movement, affirme qu’elle « ne serait pas choquée » par la violence qui suivra l’élection.

Si Trump reprend le pouvoir, la menace qu’il représente est exponentiellement plus grande. Selon Teddy Wilson, même ceux qui se sont refroidis à son sujet, en raison de son incapacité à tenir des promesses telles que la « construction du mur », sont enthousiasmés par ses menaces de vengeance. Trump a déjà juré de se couronner dictateur (mais seulement le « premier jour »), de se « venger » de ses ennemis, d ’« arrêter les procureurs marxistes » au ministère de la Justice et ailleurs, et de placer des dizaines de milliers d’emplois fédéraux sous son contrôle direct (voir l’encadré ci-dessous).

L’une des évolutions récentes les plus inquiétantes est que ce que l’on appelle désormais le « mouvement MAGA », qui a émergé dans le sillage de Trump, et ne dépend plus de lui. S’il suit sa politique, il agit politiquement sans lui. Ses élus les plus visibles sont des membres du Congrès, en particulier Marjorie Taylor Greene, Lauren Boebert et Paul Gosar. Parmi eux, Greene a réussi à attirer le plus d’attention, ne partageant les projecteurs qu’avec le gouverneur de Floride Ron DeSantis, qui mène lui-même une guerre sans merci contre les personnes LGTBQ+ et le système éducatif de l’État. Les idées de Trump sur des questions telles que l’immigration et la politique étrangère ont imprégné le parti républicain à tel point qu’elles ont dominé plusieurs débats présidentiels du GOP (Grand Old Party, est le surnom du Parti républicain) auxquels il n’a pas lui-même participé.

Bien entendu, même privée de pouvoir, l’extrême droite continue à pratiquer ce pour quoi elle est le plus connue : la violence. Parmi les massacres perpétrés par des suprémacistes blancs en 2023, on peut citer celui d’un magasin à Jacksonville, en Floride et celui d’un centre commercial à Dallas (huit morts). À cela s’ajoutent des meurtres individuels comme celui de Laura Ann Carleton*, tuée pour avoir accroché un drapeau de la Fierté à l’extérieur de son magasin.

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Grâce à l’anonymat en ligne, les menaces à l’encontre de quiconque est perçu comme un ennemi (oui, ennemi et non adversaire) sont désormais monnaie courante. Si nombre d’entre elles visent des élus, comme les opposants à la nomination de Jim Jordan au poste de président de la Chambre des représentants, il est désormais courant de s’en prendre à des juges, des jurys, des enseignants et même des hôpitaux. Selon le National Counterterrorism Innovation, Technology, and Education Center, l’année dernière, les poursuites fédérales pour ces menaces ont été les plus nombreuses depuis dix ans, et on s’attend à ce qu’elles augmentent encore.

Violences, obscurentisme, complotisme, une vague de fond inquiétante…

Les conservateurs qui ont attaqué les conseils d’administration des écoles en 2022 s’en prennent maintenant aux bibliothèques

Ces dernières années, les conservateurs ont fait des bibliothèques la cible d’une colère extrême, carrément d’une rage incontrôlée, comme en témoigne la panique morale suscitée par les heures du conte consacrées aux drag-queens, désormais répandues de l’Idaho à New York. Mais ce sont les bibliothèques scolaires qui risquent de faire l’objet d’une surveillance accrue de la part de la droite au cours de l’année à venir, grâce à un groupe issu des « Moms for Liberty » (Mères pour la Liberté). « Moms for Libraries » espère s’implanter cette année dans les bibliothèques de tout le pays.

La campagne Moms for Libraries, qui semble avoir été lancée en 2022, mais qui est passée à la vitesse supérieure courant 2023, fait partie du groupe national beaucoup plus important et mieux connu Moms for Liberty, dont les bailleurs de fonds sont largement inconnus et qui rassemble des femmes conservatrices pour influencer et/ou prendre le contrôle des conseils d’administration des écoles. En apparence, Moms for Libraries incite ses sympathisants à acheter des exemplaires de livres provenant d’une poignée de petits éditeurs conservateurs qu’elle a choisis, tels que Heroes of Liberty, qui a publié en décembre un livre valorisant Elon Musk. « Ce mois-ci a été un mois extraordinaire pour la liberté, grâce à Elon Musk et aux Twitter Files », peut-on lire sur la page Facebook de l’éditeur. Moms for Libraries a déclaré en janvier qu’elle distribuerait le livre aux élèves « à travers les États-Unis », rejoignant ainsi plusieurs autres titres qu’elle a présentés comme des moyens d’introduire son programme dans les bibliothèques.

Un autre partenaire de Moms for Libraries, Brave Books, a récemment utilisé un livre de l’ancienne star de Growing Pains, Kirk Cameron*, pour alimenter une campagne de désinformation selon laquelle les bibliothèques feraient preuve de discrimination à l’égard des chrétiens. Fin décembre, Kirk Cameron a dénoncé une discrimination de la part de la bibliothèque publique d’Indianapolis, qui aurait refusé d’accueillir une lecture promotionnelle de son livre. Il s’était déjà plaint que si une bibliothèque accueillait des histoires de drag queens, pourquoi ne l’accueillerait-elle pas lui ? La bibliothèque d’Indianapolis a réfuté les affirmations de K. Cameron, déclarant que c’est son personnel de programmation qui organise les événements de la bibliothèque tels que les heures du conte, et non les éditeurs extérieurs, qui sont invités à louer des salles pour leurs propres programmes promotionnels. Catherine Rahimian, fondatrice de Moms for Libraries, a d’abord été la fondatrice de la section Moms for Liberty dans le comté d’Orange, en Californie. « Les racines de Catherine dans le mouvement pour la liberté remontent à son adolescence, lorsqu’elle était bénévole pour des campagnes locales dans son État d’origine, l’Indiana », peut-on lire dans sa biographie de membre du conseil d’administration du Gavel Project, une organisation qui a intenté des procès aux écoles pour bloquer les politiques sanitaires et les campagnes de vaccination. Dans une interview accordée en janvier au podcast Moms for Liberty, Catherine Rahimian brosse un tableau désastreux du système éducatif et de l’organisation des bibliothèques, présentant Moms for Libraries comme LA solution. Selon elle, les enfants ne s’intéressent pas à la lecture, ce qui est dû au manque de financement des bibliothèques. En même temps, elle affirme que lorsque les bibliothèques dépendent de dons privés, cet argent peut provenir de certaines organisations anonymes qui ne font pas du bon travail.

Un exemple de la propagande de Moms for Libraries pour une de ces campagnes en partenariat avec Brave Books : « Moms for Libraries travaillera avec Brave Books pour lancer la nouvelle campagne. Brave Books est une organisation qui publie des livres qui transmettent aux jeunes de cette génération des valeurs conservatrices » tout en « glorifiant le Seigneur dans tout ce que nous faisons (…)   Elle se définit comme « une alternative conservatrice à l’agenda progressiste actuel qui domine notre culture ». Les livres sont écrits par un grand nombre d’experts et d’influenceurs conservateurs et les histoires sont centrées sur des personnages qui défendent « l’île de la liberté »…

Entre le wokisme et l’extrême droite, ça promet, l’Amérique de 2024 !

 

*Spencer Sunshine est un écrivain, chercheur et militant américain connu pour ses travaux sur l’extrême droite, le mouvement antifasciste et les mouvements sociaux. Il a écrit de nombreux articles et ouvrages sur ces sujets. Sunshine est également un conférencier fréquent dans les médias et les universités. Il est notamment l’auteur de Neo-Nazi Terrorism and Countercultural Fascism : The Origins and Afterlife of James Mason’s Siege (Les origines et la vie après le siège de James Mason).

*Acteur, Kirk Cameron, fonde en 2002 l’organisation évangélique The Way of the Master (La voie du maître) avec Ray Comfort. Cela l’amène à participer à des manifestations contestant le darwinisme…


*Le 18 août 2023, une femme d’affaires, Laura Ann « Lauri » Carleton, 66 ans, a été assassinée après avoir accroché un drapeau de la fierté à l’extérieur du magasin de vêtements Mag. Pi qu’elle possédait à Cedar Glen, en Californie. Le meurtrier, Travis Ikeguchi, 26 ans, avait fait « plusieurs remarques désobligeantes au sujet d’un drapeau arc-en-ciel qui se trouvait à l’extérieur du magasin avant de tirer sur Lauri ». Plus tard dans la journée, Ikeguchi a été abattu par la police après avoir ouvert le feu sur elle. Ce meurtre s’inscrit dans le cadre d’une vaste campagne anti-LGBT menée par la droite aux États-Unis. Bien qu’elle ne soit pas elle-même membre de la communauté, Lauri Carleton, mère de famille, était un soutien indéfectible des LGBTQ+. L’assassin, Travis Ikeguchi, un homme de 26 ans originaire de la même ville, publiait régulièrement des messages anti-LGBTQ et anti-avortement sur Twitter et d’autres plateformes. 

Lauri Carlton avait 66 ans

Sources : outre les liens dans le texte, The New Republic, Business Insider, USA Today, archives personnelles.

Alors qu’il brigue un second mandat, l ‘ancien président Donald Trump a indiqué qu’il prévoyait d’étendre considérablement le pouvoir de la présidence et de bouleverser les précédents démocratiques.

Il a déclaré qu’il pourrait utiliser le ministère de la justice pour poursuivre ses adversaires politiques, qu’il utiliserait la force militaire pour mettre fin aux manifestations et aux migrations à la frontière sud, et qu’il inonderait probablement le gouvernement fédéral de loyalistes plus enclins à soutenir des politiques controversées. À un moment donné, M. Trump a déclaré qu’il serait un dictateur pendant un jour s’il était réélu en 2024.

De nombreux présidents américains des deux partis ont testé les limites du pouvoir exécutif. Mais ces promesses – et le refus de Trump de reconnaître la validité des résultats de l’élection de 2020, y compris en déclarant qu’il conviendrait de « mettre fin » à la Constitution pour la renverser – ont rendu les experts en autoritarisme particulièrement inquiets de ce qu’un second mandat pourrait apporter.