La première grève générale dans le pays, il y a une centaine d’années, avait été lancée par des femmes et avait duré plus de 40 jours.

En juin 1917, quelques décennies avant la consolidation de la législation du travail au Brésil, 400 travailleurs (principalement des femmes) de l’usine textile Cotonificio Crespi de Mooca, à São Paulo, cessèrent le travail. Elles engendreront un mouvement inédit qui bloquera le pays.

Ce qu’elles veulent : une augmentation des salaires et une réduction de la durée du travail, jusque-là non garanties par la Loi. En quelques semaines, la grève s’étendra à divers secteurs de l’économie, à travers l’État de São Paulo, puis à Rio de Janeiro et à Porto Alegre. C’était la première grève générale dans le pays.

 1917

La Première Guerre mondiale a favorisé l’industrie et l’économie brésiliennes car les importations ont progressivement baissé. Il a donc fallu produire beaucoup plus. L’usine textile Cotonifinicio a par exemple doublé son bénéfice entre 1915 et 1916, mais dans le même temps non seulement les salaires n’ont pas augmenté, mais les horaires de travail sont devenus démentiels : jusqu’à 16 heures par jour !

Le nombre des entreprises industrielles passe de 3 258 en 1907 à 13 336 en 1917. L’industrie brésilienne emploie alors plus de 300 000 ouvriers.

Les entrepreneurs sont presque toujours des immigrants italiens, portugais, allemands, libanais ou syriens

Parallèlement à ce développement économique, les ménagères travaillant dans le textile voyaient les prix grimper.

 Harcèlement sexuel

 Ces ouvrières avaient aussi une autre revendication : que cesse le harcèlement sexuel dont se rendaient coupables les contremaîtres et les petits chefs. Autant dire que ce phénomène n’était absolument pas médiatisé à l’époque, surtout au Brésil !

Les 400 puis 1500 travailleuses du textile ont rapidement entraîné avec elles celles et ceux de l’industrie du meuble et de la déjà célèbre usine de boissons Antartica. Puis les autres entreprises ont suivi notamment dans la construction et le transport puis l’artisanat et, dans une moindre mesure l’agriculture. Débuté dans la seconde quinzaine de juin 1917, le mouvement a complètement bloqué la ville de São Paulo dès juillet.

La répression s’organise. Le 9 juillet, un jeune cordonnier anarchiste d’origine espagnole est tué lors d’une charge de cavalerie. Il avait 21 ans. Il s’appelait Francisco José Martinez. Ses funérailles, le 11 juillet déplacèrent une foule énorme et ce fut vraiment le coup d’envoi d’une grève générale s’étendant sur tout le littoral industriel.

L’enterrement de José Martinez « est une manifestation populaire gigantesque » écrivit le journaliste Edgard Frederico Leuenroth (1881-1968). Il parle d’une véritable marée humaine qui dans un « silence impressionnant et menaçant » envahit les rues et les places. La police n’osa pas intervenir. Lors de la mise en terre du jeune homme, plusieurs discours prononcés par des syndicalistes ou des grévistes anonymes s’enchaînèrent. Après l’enterrement la foule ne se dispersa pas et vint se rassembler aux abords de la maison de José Martinez et sur les plus grandes places de la ville.

À partir de ce jour, les grévistes furent (provisoirement) en position de force et le patronat dut lâcher du lest en augmentant les salaires, en limitant la journée de travail des adultes et surtout des enfants (13 h/j !).

Les travailleurs voulaient la journée de 8 heures, le repos dominical (à l’époque on travaillait 9 heures chaque dimanche, et donc 16 heures les autres jours), la réglementation du travail des femmes et des enfants, des augmentations des salaires et la libération des grévistes emprisonnés. Ils obtiendront partiellement satisfaction.

Mais l’embellie fut de courte durée. Rapidement, dans les années 20, les employeurs marginalisèrent les syndicats pour négocier directement avec des travailleurs souvent très peu éduqués et instruits. Il faudra attendre 1943 et G. Vargas pour qu’une véritable législation du travail soit appliquée sur tout le territoire de l’Union.

Mais ce qu’avaient gagné les grévistes de 1917 fut une prise de conscience immense : ils pouvaient se révolter ! Plusieurs autres mouvements sociaux suivirent d’ailleurs entre 1920 et 1940.

Edgard Leuenroth avait débuté comme typographe avant de devenir journaliste, éditeur et écrivain. Libertaire et anticlérical, il avait suivi et étudié les premiers mouvements sociaux du Brésil, en particulier ceux des communistes, socialistes et anarchistes.

Il était natif de la ville de Mogi Mirim, dans l’État de São Paulo, issu d’immigrants venus d’Allemagne.

Il fut parmi ceux qui organisèrent les grandes grèves, puis les négociations dès les jours suivant l’enterrement du jeune Martinez en juillet 1917. Par la suite, il sera une figure du mouvement anarcho-syndicaliste brésilien.

Dès 1912, il était déjà très impliqué dans la vie sociale du pays. À São Paulo, avec Neno Vasco, Oreste Ristori et Gigi Damiani, il est parmi les fondateurs d’une École Moderne fonctionnant sur le principe de l’enseignement rationaliste préconisé par le pédagogue libertaire espagnol Francisco Ferrer.

En 1933, il sera co-fondateur du Centre de culture sociale de São Paulo.

Après sa mort, en 1968, sa famille a fait don de ses très importantes archives et études à l’Université d’État de Campinas qui a organisé l’Arquivo Edgard Leuenroth. C’est encore aujourd’hui la source la plus importante sur les mouvements sociaux brésiliens de la fin du XIXe siècle aux années 1960.

Arquivo Edgard Leuenroth

Instituto de Filosofia e Ciências Humanas – IFCH

Rua Cláudio Abramo, 377

Campinas – São Paulo – Brasil – CEP 13083-856 – Telefone: xx 55 (19) 3521-1622

Universidade Estadual de Campinas – UNICAMP

Mise à jour le 2 mars 2023.