Une petite histoire du Brésil

1 : Avant Cabral

Le Brésil est une mosaïque de pays et de peuples. Le Brésil demeure incompréhensible à beaucoup de gens, y compris pour les correspondants de plus grands journaux. Ils n’y comprennent pas grand-chose en dehors des salles de rédaction où l’on se contente trop souvent de traduire les dépêches de la Globo, l’usine à nouvelles vraies, parfois arrangées, quelques fois fausses. La Globo (1) est un groupe de médias comprenant des journaux et des télévisions dans tous les États et les villes plus ou moins importantes. C’est une pieuvre. S’il fallait résumer son contenu vidéo, audio et écrit, ce serait une sorte de mélange entre BFMTV, le Journal du Dimanche, Paris-Match, TF1 et LCI sans oublier Point De Vue Images Du Monde…

Le Brésil n’est pas sérieux, disait Charles de Gaulle qui n’avait rien compris. Le Brésil n’est pas un pays pour débutants, disait le compositeur Antônio Carlos Jobim qui avait tout compris (2)

On dit plus généralement que quand on entre au Brésil, il faut laisser son cerveau occidental à la porte. Est-ce à dire que ce pays immense (16 fois la France, 6000 km du nord au sud, partagé en deux par le plus puissant et long des fleuves) n’est pas occidental ? Nous allons tenter d’en savoir un peu plus en commençant par raconter un peu de l’histoire de la Terre de la Véritable Croix devenue le pays du bois rouge…

Avec Colomb on devinait plus ou moins les côtes de l’Amérique du Sud, mais ce fut à Cabral que revint le véritable honneur d’être le découvreur du Brésil. On dit que ce fut le hasard qui le conduisit à aborder la cote brésilienne le 22 avril 1500.

Aussitôt la colonisation commença ? Pas du tout. En fait le but de Cabral était de contourner l’Afrique par le cap de Bonne Espérance pour filer vers les mers d’Orient. Ce sont les vents qui l’ont entraîné au large de l’Afrique. Il baptise sa découverte l’île de la Sainte-Croix ou de la Vraie Croix (selon les écrits de l’époque).

 

Portrait de Cabral avec son blason familial figurant au-dessus (1568)

Cabral arrive au Brésil en 1500.

Aurélio de Figueiredo — Revista de História da Biblioteca Nacional

En vertu du traité de Tordesillas (7 juin 1494) (3), le territoire, alors désigné comme « Terre de la Véritable Croix », revient aux Portugais. Malgré une description dithyrambique et détaillée de ses ressources par les visiteurs européens suivant la découverte, sa colonisation reste limitée. Elle vise essentiellement à envoyer vers Lisbonne du bois pau-brasil, réputé pour sa superbe teinture couleur vermeil.

Mais avant, il y avait quoi ?

Des Indiens. Enfin, plutôt des Amérindiens. Comme dans toute l’Amérique, des immensités du Grand Nord (actuellement canadien) à la Terre de Feu en passant par l’Amazonie et les Andes. Au Brésil, leur population est estimée, pour le XVe siècle, à environ 5 millions au moment de l’arrivée des Portugais. Comme on le sait, la population amérindienne va rapidement souffrir de la colonisation. Jusqu’à être décimée par l’esclavage, les massacres et bien sûr les maladies. Aujourd’hui, les descendants des peuples autochtones sont moins de 700 000. Leur nombre était tombé jusqu’à 300 000 ou 400 000, mais il remonte un peu : 650 000 en 2010, 700 000 en 2020 (divisés en 215 peuples parlant 188 langues [vivantes, mais il y a 70 à 80 langues mortes].

Des ONG avancent d’autres chiffres. Selon Survival International, environ 300 tribus vivent au Brésil aujourd’hui, ce qui représente environ 900 000 personnes, soit 0,4 % de la population brésilienne.

Illustration à droite: Brasil Colônia: Os índios já lutavam na justiça por sua liberdade / Xapuri

 

 

Les Amérindiens aujourd’hui

Le gouvernement a reconnu 690 territoires autochtones qui couvrent environ 13 % de la superficie de l’Union. 98,5 % se trouvent en Amazonie. Cependant, si près de la moitié de la population indienne du Brésil vit en dehors de l’Amazonie, celle-ci n’occupe que 1,5 % des territoires autochtones qui leur sont réservés. Selon Fiona Watson « La tribu amazonienne la plus nombreuse est celle des Tikuna, forte de 40 000 membres. La plus petite ne compte qu’un seul individu, un homme qui vit en Amazonie occidentale sur une toute petite parcelle de forêt cernée par des fermes d’élevage et de plantations de soja, et qui refuse toute tentative de contact ». La population de nombreux groupes amazoniens n’atteint pas un millier d’individus. Les Akuntsu, par exemple, ne sont que 5 et les Awá seulement 450.

Origine ?

L’origine de ces peuples indigènes est encore débattue. Mais généralement c’est l’hypothèse d’une migration sibérienne vers l’Amérique à la fin de la dernière glaciation qui est retenue. Cependant, il existe des preuves de migrations provenant d’Européens antérieures à la migration sibérienne, comme le démontrent des squelettes retrouvés en Amérique du Nord. Beaucoup de peuples d’origine américaine descendent de la première vague de peuples migrants du nord de l’Asie [Sibérie] qui entrèrent par le détroit de Béring en au moins trois vagues séparées.

Au Brésil, beaucoup de tribus qui y vivaient en 1500, descendaient de la première vague qui y était arrivée par le détroit à la fin de la dernière glaciation, vers 9000 av. J.-C.

Publiée en 2012 dans la revue scientifique d’autorité Nature, une vaste étude génétique internationale, portant sur l’origine des Amérindiens, montre que le peuplement des Amériques s’est fait en trois vagues migratoires successives depuis l’Asie. « Les résultats confirment l’origine asiatique de ceux que l’on appelle les premiers Américains », peut-on lire dans les divers comptes-rendus de l’étude (4). Par ailleurs, ils corroborent, dans une certaine mesure, une hypothèse lancée par des linguistes dans les années 1980, à savoir qu’il y a bien des vagues successives de migration. La première, cependant, a fourni l’essentiel de l’apport humain [et donc génétique] dans le Nouveau Monde. La vague de migration d’environ 9000 av. J.-C., serait arrivée au Brésil vers 6000 av. J.-C. pénétrant le bassin du rio Amazone du Nord-ouest. La deuxième et la troisième vague vinrent de la Sibérie et ont formé les peuples d’athabaska et eskimo et n’ont pas dépassé les uns le sud des États-Unis et les autres le Canada actuels.

Là où la génétique ne permet pas de remonter au-delà de 15 000 à 20 000 ans, l’archéologie offre des preuves d’une occupation humaine beaucoup plus ancienne, en particulier au sud. En attestent les outils de Pedra Furada, au Brésil, vieux de 30 000 ans. Une autre hypothèse émerge de ces fouilles : l’installation de Paléoaméricains qui pourraient être apparentés aux Austro-Mélanésiens, qui auraient été remplacés par les ancêtres des actuels autochtones (5).

 

 

 

 

 

 

Pedra Furada

Le complexe préhistorique de Pedra Furada [« pierre percée » en portugais] se trouve dans le sud-est de l’État actuel du Piauí [Brésil]. Le Parc national de la Serra da Capivara rassemble plus de 800 sites de peuplement humain, dont beaucoup remontent au Paléolithique supérieur. Les peintures rupestres dateraient pour les plus anciennes de 30 000 ans. Découverts en 1973, classés au patrimoine mondial par l’Unesco en 1991, les sites s’étendent sur les quatre communes de São Raimundo Nonato, São João do Piauí, Coronel José Dias et Canto do Buriti. L’ensemble est administré par l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité, organisme public rattaché au Ministério do Meio Ambiente [Ministère de l’Environnement brésilien].

En 2009, une équipe universitaire de Lyon (6) a étudié au plus près le site et ses figures rupestres. Les figurations animales sont abondantes dans l’art rupestre du Parc National Serra da Capivara, près de São Raimundo Nonato. Les espèces les plus représentées et les plus reconnaissables sont un grand cerf à bois très ramifiés, des tatous, le nandou, un caïman et le capivara. Ce dernier animal étant le plus grand rongeur au monde [grand cabiaï]. Il se caractérise par une silhouette massive, porcine, un crâne court sans cou.

Mais le plus troublant est qu’auparavant, en 1985, des prélèvements [charbon, pigments, ossements] sont effectués sur le site et envoyés en France pour une datation au carbone 14 au Centre des faibles radioactivités du CNRS de Gif-sur-Yvette. Les premiers résultats révèlent des écarts de datation importants selon l’origine des échantillons en fonction des différentes couches d’origine. Le problème porte sur les charbons [du bois carbonisé] retrouvés dans les plus basses couches : les premières analyses au radiocarbone ont donné comme résultats 35 000 à 48 000 ans ! Ce qui, évidemment, pulvérise la datation traditionnelle de l’arrivée des premiers humanoïdes [Neandertal ou/et Sapiens] au Brésil et dans tout le sous-continent…

Toujours est-il que si vous passez dans le coin, c’est à 400 kilomètres de chez moi, n’hésitez pas, le détour vaut le coup. Le site est merveilleux et il a gardé tout son mystère. Même pour les scientifiques !

La suite : le Brésil colonial de 1500 à 1815

1. Grupo Globo. Voir ICI

2. Antônio Carlos Jobim, né le 25 janvier 1927, à Tijuca, dans la partie nord de Rio de Janeiro, et mort le 8 décembre 1994 à New York (États-Unis), est un musicien brésilien, cofondateur du style « bossa nova ». Plus connu sous le nom de Tom Jobin. Voir sa fiche Wikipédia en français ICI.

3. Signé le 7 juin 1494 à Tordesillas (Castille) dans la province espagnole de Valladolid sous l’égide du pape Alexandre VI, le traité vise à partager le Nouveau Monde entre la Castille et le Portugal

4. Dont un

5.  ICI Lire « Au berceau d’Homo americanus », dans le magazine Sciences et Avenir, avril 2007

6. Université Lumière — Lyon 2, Faculté d’Anthropologie et de Sociologie, 7 rue Raulin, 69007 Lyon, France et UMR CNRS 5125 « Paléoenvironnements et paléobiosphère » ; Instituto Nacional de Arqueologia, Paleontologia e Ambiente do Semi-Arido (MCT/CNPq), Fundação Museu do Homem Americano, São

Raimundo Nonato, Piauí, Brésil. Martine Faure, Claude Guérin et Cécile Mourer-Chauviré.

Peinture romantique du premier débarquement de Cabral sur l’Ilha de Vera Cruz. On l’aperçoit sur le rivage, au centre,  devant le soldat qui déploie une bannière de l’ordre du Christ.

Oscar Pereira da Silva (1865–1939)