Le magazine quinzomadaire français s’est associé avec les Éditions 10/18 pour publier une série de bouquins sur des crimes perpétrés aux États-Unis, et souvent non résolus. Ces meurtres et disparitions ont défrayé la chronique américaine, pour certains durant des décennies. Tous les livres (calibrés entre 200 et 240 pages) sont des enquêtes rigoureuses menées et écrites par des journalistes chevronnés qui sont allés sur place et ont conduit des investigations au long cours. Pour l’instant, il y a sept volumes. Anaïs Renevier en a signé deux. Des livres passionnants qui se lisent rapidement.

Les faits sont analysés, décortiqués, exposés dans leur brutalité. Pas d’effets de manche, pas de fioritures inutiles. Anaïs Renevier s’est d’abord penchée sur L’affaire Alice Crimmins, dont les deux enfants ont disparu en juillet 1965. La mère, Alice Crimmins est rapidement soupçonnée. Elle a mauvaise réputation, plusieurs amants et c’est une belle femme, indépendante, toujours bien mise. Pour une police et une justice conservatrices et patriarcales, la mère de famille est la suspecte idéale… Le récit est palpitant.

Mais je veux surtout parler ici du second opus d’Anaïs Renevier qui fut correspondante à Beyrouth et a travaillé pour TV5, désormais reporter indépendante. Elle a publié La disparue de la réserve Blackfeet (oct 2024). En 234 pages, l’autrice va au-delà de l’enquête policière et nous livre une analyse précise du drame vécu par les femmes amérindiennes des réserves américaines, notamment du Montana. Des dizaines de victimes, disparues, violées, assassinées. Elle nous décrit des mamans, des sœurs, des amies livrées à elles-mêmes, une société gangrenée par la drogue, l’alcool, le machisme et le chômage. Une communauté totalement marginalisée, quasiment sous les radars de la police et de la justice.

« Au pays de la liberté, quand on est une femme amérindienne, on a statistiquement plus de probabilités d’être violée ou tuée que d’aller à l’université ». Ou encore : « Au moins 90 % des femmes amérindiennes ont été victimes de violence dans leur vie » ! Quand les mères de cette communauté ancestrale conseillent leurs filles, elles ne leur disent pas « si tu te fais violer », mais « quand tu te feras violer » !

Anaïs Renevier a parcouru en long et en large la réserve des Blackfeet en partant d’une disparition, celle de la jeune Ashley en juin 2017, mais très rapidement, ses lecteurs et l’autrice ne peuvent faire abstraction du fait que la jeune fille n’est qu’une victime parmi des dizaines et des dizaines d’autres. Dans la plupart des cas, la police n’enquête pas. Et quand elle découvre un cadavre, elle conclut à une mort par hypothermie, même quand les corps ont été manifestement brutalisés. D’ailleurs, si la journaliste a rencontré beaucoup de femmes proches des victimes, des témoins, des enquêteurs privés, toutes ses demandes d’entretien avec les autorités, que ce soit le FBI, les polices locales ou la police tribale sont restées lettres mortes.

Dans cette tragédie méconnue, il y a toutefois un espoir. Des femmes, victimes survivantes, mais essentiellement des mères, se battent et elles commencent à (timidement) intéresser la presse américaine. Elles protestent, défilent, mais surtout montent des dossiers. Elles utilisent les nouvelles technologies, des Amérindiennes qui ont eu la chance de faire des études, apportent leurs conseils en termes de droit ou de criminologie, l’actrice Lily Gladstone elle-même d’origine autochtone (justement de la réserve des Blackfeet), leur a apporté son soutien.

Un site internet a été créé pour aider ces femmes. Il est un moyen pour les proches des victimes de témoigner, mais surtout de trouver une aide juridique et de précieux conseils.

Le petit livre d’Anaïs Renevier met les pieds dans le plat avec un style incisif, mais simple. Les faits, rien que les faits. Et ils sont tragiques.

La disparue de la réserve Blackfeet, Anaïs Renevier, 10/18 – Society, 234 pages. 

Le site NIRWC (National Indigenous Women’s Resource Center)

Lily Gladstone est une actrice d’origine amérindienne qui a notamment tourné avec Arnaud Desplechin et Martin Scorsese. Elle a reçu plusieurs récompenses et a été membre du jury du Festival de Cannes 2024. Sa fiche Wikipédia.