Le Brésil colonial (1500-1815) – Première partie
« Ce sont des hommes bruns tout nus, sans que rien ne couvre leurs parties honteuses, et les femmes bien gentilles avec de longs cheveux noirs sur leurs épaules et le sexe si haut, si serré, si dépourvu de poils que nous pouvions bien les regarder sans éprouver aucune honte » – Pero Vaz de Caminha, dans une lettre du 19 mai 1500 au roi Manuel le Fortuné.
Dans ses Lettres du Brésil, un demi-siècle plus tard, le jésuite Manuel de Nobrega écrit : « L’information que je peux vous donner de cette partie du Brésil est que cette terre a mille lieues de côte, toute peuplée de gens qui s’en vont nus, les femmes aussi bien que les hommes ».
« S’il y a un paradis sur terre, je dirais qu’il se trouve maintenant au Brésil », Rui Pereira, jésuite, 1560.
Las, paradis ou pas, il faut évangéliser ce pays et extorquer ses richesses. Les Européens sont avant tout ici pour cela !
Apiaká indians, in Arinos river, Mato Grosso, Brazil.
Le bandeirante Domingos Jorge Velho représenté par Benedito Calixto
Les bandeirantes
Selon Bartelomé Bennassar et Richard Marin (1), la fondation du bourg de São Vincente, « assortie de la donation royale à Martim Afonso de Sousa », suivie de l’exploitation du premier moulin à sucre, est sans doute le coup d’envoi de la colonisation portugaise au Brésil. São Vincente (littoral de l’État de São Paulo actuel) fut la première ville fondée par les Portugais aux Amériques, en 1532. Elle était le siège de la capitainerie de São Vincente et point de départ des expéditions de nombreux bandeirantes. Les bandeirantes étaient des aventuriers qui pénétrèrent à l’intérieur du Brésil dès le XVIe siècle à la recherche de richesses minières ou d’indigènes à réduire en esclavage. Les expéditions des bandeirantes étaient appelées entradas (incursions) lorsqu’elles étaient d’origine officielle ou bandeiras (expéditions, campagnes) lorsqu’elles étaient d’ordre privé. Ce dernier terme est à l’origine du nom bandeirante : l’homme qui suit une bannière, un drapeau.
Les capitaineries
Ces bandeirantes se sont taillé de petits empires : les capitaineries, ancêtres des États fédéraux d’aujourd’hui. En fait, Lisbonne ayant des moyens limités (l’essentiel des ressources était concentré vers l’Orient) a en quelque sorte fait sous-traiter la colonisation du Brésil par de riches particuliers. Les « capitaineries héréditaires » sont restées en vigueur jusqu’au XVIIIe siècle. Le marquis de Pombal a mis fin au système en 1759. Les capitaineries (une quinzaine) pouvaient donc être transmises (héritages) mais pas être vendues.
Elles payaient un tribut à la Couronne du Portugal. Le lien juridique entre le roi du Portugal et chaque capitainerie était établi par deux documents : la carta de Doação (lettre de donation), qui attribuait les terres, et la carta Foral qui déterminait les droits et devoirs des deux parties. Certaines d’entre ces capitaineries avaient à peu près la même géographie que des États actuels et plus ou moins le même nom comme le Maranhão, le Ceará ou le Pernambouc. Mais dans l’ensemble ce fut un échec en termes de rentabilité et de colonisation effective au bénéfice de Lisbonne en raison, notamment, de l’isolement profond de ces noyaux de peuplement à l’exception notable du Pernambouc (2) exploré par Vicente Yáñez Pinzón, celui-là même qui remonta le fleuve Oiapoque jusqu’à la ville brésilienne éponyme (en face de Saint-Georges, Guyane française).
Le Pernambuc a forgé sa prospérité grâce à son bois. Celui-ci était d’une qualité tellement supérieure qu’il réglementait le prix dans le commerce européen, ce qui explique le fait que l’arbre du Brazil a pour nom principal Pernambuco dans des langues telles que le français et l’italien.
Jean III le Pieux, par le peintre Antonio Moro
Le Brésil divisé en capitaineries héréditaires (Luís Teixeira – Roteiro de todos os sinais… – 1586 – Lisboa – Biblioteca da Ajuda)
La colonisation s’organise et les autres veulent une part du gâteau
À part ça, la colonie brésilienne périclita rapidement à tel point qu’un conseiller de Jean III (3) écrivit : « Si Votre Altesse ne secourt pas à bref délai ces capitaineries et cette côte du Brésil, et quoique nous perdions nos vies et nos biens, Votre Altesse perdra ce territoire ». Du coup, Jean III nomma un gouverneur général et capitaine, Tomé de Sousa (7 janvier 1549) pour lequel l’administration lisboète avait mis sur pied un règlement considéré plus tard comme « le document le plus complet de son époque à propos du peuplement et de la colonisation des territoires portugais » (4). C’est à la même époque que fut créée la première capitale du Brésil, Salvador de Bahia, qui fut avant tout la plateforme de distribution du bétail venu de la péninsule ibérique. En 1551, la Couronne portugaise envoya des contingents de femmes (blanches) et créa le premier évêché (avec dom Pero Fernades Sardinha comme premier évêque). L’année suivante était fondé le collège de São Paulo. À partir de là, la colonisation s’accélère vraiment avec son lot de massacres dont les expéditions meurtrières de Jerônimo Leitão contre des villages amérindiens en même temps que l’importation des premiers esclaves africains.
Alors que les Français sont définitivement chassés de Rio de Janeiro en 1567, ils fondent beaucoup plus au nord São Luiz du Maranhão en 1612, tandis qu’une quinzaine d’années plus tôt les Anglais installaient des comptoirs dans l’embouchure de l’Amazone. De leur côté, les Hollandais ne restent pas les deux pieds dans le même moulin et s’emparent du Pernambouc en 1630.
(1) Histoire du Brésil, Fayard, Paris, 2000.
(2) Actuel État du Pernambouco, littoral, Nordeste, capitale : Recife (ancienne capitale pendant la capitainerie : Olinda)
(3) João III, o Piedoso (le Pieux), quinzième roi du Portugal, il régna de 1521 à 1557 (Dynastie d’Aviz branche de Beja).
(4) Historia da expansão portuguesa no mundo, António Baião, Ática, 1937, Lisboa (disponible à la librairie du Sénat, Brasília. Ou en fac-similé PDF sur le site du Sénat).