Portugais : Comment la variante linguistique utilisée au Brésil influence le Portugal
Fin janvier, un post d’une page portugaise anti-immigration sur X (anciennement Twitter) dénonçait l’existence d’un panneau routier écrit en « portugais brésilien » à Sintra, dans la région métropolitaine de Lisbonne. Des panneaux routiers rédigés en portugais brésilien indiquent que la circulation est interdite, sauf pour les trains et les bicyclettes, peut-on lire dans le message, qui comprend également une photo du panneau qui est censé « assassiner le portugais européen ».
Le gros problème, selon l’auteur du billet, est que le mot trens a été repris du portugais utilisé au Brésil, puisqu’au Portugal le moyen de transport ferroviaire s’appelle comboio. Le fait est que le mot train existe aussi en portugais européen, mais avec un sens différent. Il peut en effet signifier « une voiture hippomobile destinée au transport de personnes, ou une calèche, selon la définition du dictionnaire Porto Editora. Compte tenu de l’emplacement du panneau, le mot trains fait référence aux calèches tirées par des chevaux qui emmènent les touristes à Sintra.
Cet épisode fait écho à de nombreux autres cas de puristes portugais qui rejettent de plus en plus la présence de vocabulaire et de constructions brésiliennes dans la langue parlée dans leur pays. Ce rejet apparaît clairement dans de nombreuses réactions aux articles et titres de journaux qui dénoncent depuis des années l’influence des contenus produits par les Brésiliens sur les réseaux sociaux, notamment sur les jeunes.
Si certains considèrent la couverture médiatique comme exagérée et soulignent le poids de la xénophobie dans les opinions propagées, d’autres se font l’écho des plaintes et craignent que la présence croissante de mots importés ne soit le signe d’un effacement de la culture locale.
Pourquoi la possibilité que la variante utilisée au Brésil se retrouve au Portugal suscite-t-elle autant d’indignation chez certains citoyens ? Et quelle est l’ampleur réelle de cette influence ?
Pour Fernando Venâncio, linguiste portugais qui étudie le sujet depuis des décennies, les traits importés d’outre-Atlantique sont de plus en plus présents dans la langue parlée sur le sol portugais. Mais ce n’est pas nouveau. « Depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980, on assiste à une gigantesque acquisition de brésilismes, explique-t-il à la BBC-Brasil.
À l’époque, cela reflétait surtout le succès des feuilletons brésiliens (novelas) au Portugal, explique le linguiste. Aujourd’hui, on assiste à un nouveau phénomène, qui concerne principalement les enfants et les adolescents.
La Portugaise Paula Lourenço est enseignante à l’école primaire de Sintra depuis 24 ans. Elle enseigne à des enfants âgés de 9 à 10 ans et, toujours à la BBC, elle affirme que l’utilisation d’expressions et de mots brésiliens par ses élèves est de plus en plus évidente. « En ce moment, à l’école, j’ai le cas d’un élève qui parle brésilien alors que ses parents sont… portugais », explique-t-elle. L’enseignant signale que cet élève a commencé à être victime d’une sorte de harcèlement, ses camarades de classe s’en prenant à sa façon de parler.
C’est un peu comme si dans un village français, un élève s’exprimait en québécois en ayant des parents auvergnats…
« Il y a eu un boom, surtout pendant la pandémie. Même moi, je suis devenu un peu fan des YouTubers brésiliens, parce que j’ai commencé à les regarder pour voir ce que mes élèves aimaient », explique Paula. Même en cours d’anglais, l’enseignante Teresa de Gruyter remarque la répétition de brésilismes. « Au Portugal, nous utilisons souvent le mot giro pour parler de quelque chose d’amusant ou d’intéressant. Mais je ne l’entends plus guère. Aujourd’hui, nous utilisons davantage é bonitinho, qui est beaucoup plus brésilien », explique la Portugaise, qui enseigne principalement à des adolescents dans une école de langues à Cascais.
Graça Rio-Torto, professeur de linguistique à l’université de Coimbra, considère néanmoins que les nouvelles constructions et les nouveaux mots appris par les enfants et les jeunes Portugais sont des leçons positives. « Ces nouveaux mots enrichissent le lexique de ces enfants et il n’y a pas de mal à cela », dit-elle. « Mais si les parents portugais s’inquiètent que leurs enfants parlent davantage le brésilien, je suis désolé. Mais ils sont responsables. Ce n’est pas tant le contact avec des camarades brésiliens à l’école qui les fait parler ainsi, mais le nombre d’heures que leurs parents les autorisent à passer sur l’internet ».
Henriette Walter
Vaste débat. Mais il faut sans doute réaffirmer avec la grande linguiste française Henriette Walter que les langues parlées au XXIe siècle sont non seulement de plus en plus vivantes, mais ne cessent de se mélanger. Elle remarque d’ailleurs avec justesse que « bien qu’il existe deux normes écrites pour le portugais, la norme portugaise et la norme brésilienne, les deux pays ont depuis peu rapproché leurs orthographes, ce qui permet aujourd’hui de mettre en relief l’unité de cette langue ».
Toutefois, c’est au niveau de la prononciation que les deux normes se distinguent fortement. Le « l » apiré du brésilien ou prononcé « w » à l’anglaise, le chuintement lisboète… Par ailleurs il y a plusieurs faux-amis (comme entre l’anglais et le français » et un certain nombre de mots dont les sens sont différents comme dans les cas cités plus haut.
Quelques exemples :
autobus, autocarro à Lisbonne, ônibus à Rio.
Chemin de fer, caminho de ferro à Porto, estrada de ferro à Brasília.
Hôtesse de l’air, hospedeira à Lisbonne, aeromoça à São Paulo.
Remarque : aeromoça signifie textuellement demoiselle de l’air !
Comme toutes les langues latines, le portugais a subi de nombreuses influences, arabe bien sûr, orientale, mais aussi amérindienne.
Je ne résiste pas à rapporter ici une expérience personnelle. Quand nous avons emmené pour la première fois une amie de mon épouse, brésilienne, elle s’était exclamée en débarquant à Lisbonne, « mais… mais, ils parlent pas portugais ici !… »
Sources : BBC News, Henriette Walter (L’Aventure des langues en Occident), Globo, archives personnelles.
Sintra est un site historique et touristique non loin de Lisbonne
Sintra (Santa Maria e São Miguel, São Martinho e São Pedro de Penaferrim). Officiellement : União das Freguesias de Sintra (Santa Maria e São Miguel, São Martinho e São Pedro de Penaferrim) est une paroisse portugaise de la municipalité de Sintra.
Elle est créée lors de la réorganisation administrative de 2012/2013, résultant de l’agrégation des anciennes paroisses de Santa Maria e São Miguel, São Martinho et São Pedro de Penaferrim. C’est une station balnéaire connue pour ses nombreux palais, châteaux et parcs, qui ont été déclarés patrimoine mondial de l’UNESCO en 1995. Sintra est entourée de montagnes boisées et de parcs naturels, offrant de magnifiques paysages et une biodiversité remarquable. Le parc naturel de Sintra-Cascais abrite de nombreuses espèces végétales et animales uniques.