Le lauréat péruvien du prix Nobel fait ses adieux d’éditorialiste après des décennies de contribution aux principes libéraux et démocratiques en Amérique latine.
L’écrivain péruvien a fait ses adieux cette semaine aux chroniques d’opinions qu’il publiait depuis 33 ans dans le quotidien espagnol El País. À travers ces articles, reproduits dans divers médias du monde entier, dont El Comercio au Pérou, son pays natal, Mario Vargas Llosa offrait une vision qui combinait la situation politique latino-américaine, l’érudition intellectuelle et les principes libéraux.
Comme il le reconnaît lui-même dans sa dernière chronique, ses convictions n’ont pas été un long fleuve tranquille, mais plutôt sinueux au cours de sa vie. « Dans de nombreux domaines, j’ai été cohérent au fil des décennies, et dans d’autres, j’ai varié ma façon de penser », écrit-il. Ainsi, le jeune écrivain a commencé par admirer les idées socialistes de la révolution cubaine de Fidel Castro, avant de déchanter. Le cas tristement célèbre du poète Heberto Padilla, emprisonné puis contraint à une autocritique publique pour avoir critiqué de manière voilée la dictature de l’île, a finalement brisé le charme du régime cubain pour Vargas Llosa. D’autres intellectuels importants de sa génération sont restés du côté de Castro. Au fil des ans, Vargas Llosa s’est davantage tourné vers la défense de la démocratie et des libertés individuelles, jusqu’à devenir l’une des voix les plus influentes du libéralisme latino-américain. Ce sont précisément ses chroniques qui illustrent le mieux l’évolution de sa pensée.
Ci-dessus, en 1982
Comme beaucoup d’auteurs hispano-américains, Mario Vargas Llosa, 87 ans, s’est activement engagé en politique, avec des opinions qui passent progressivement du communisme au libéralisme, jusqu’à un soutien à des candidats de l’extrême droite chilienne et brésilienne. Candidat à l’élection présidentielle péruvienne de 1990 avec le soutien de la coalition libérale de centre droit Front démocratique, il est battu au second tour par le populiste de droite Alberto Fujimori, dont il soutiendra la fille quelques années plus tard.
En 2021, il est élu à l’Académie française, devenant le premier membre à n’avoir jamais écrit un ouvrage en français, bien qu’il parle cette langue couramment et qu’il ait été le premier écrivain étranger à être publié à la Pléiade de son vivant. Il a rédigé son premier roman La Ville et les Chiens à Paris en 1963, ouvrage qui fait de lui un auteur de renom. Suivront des fresques et des romans policiers comme La Maison Verte ou Qui a tué Palomino Molero ?
La Guerre de la fin du monde (1982), qui traite de la politique brésilienne au XIXe siècle et de la guerre des Canudos, rencontre un immense succès critique et public, marquant le sommet de sa carrière de romancier.
Madrid, avril 2023
Mario Vargas Llosa a été très ami avec un autre géant de la littérature latino-américaine, le Mexicain Gabriel García Márquez dont il fit de nombreuses fois l’éloge notamment pour Cent ans de Solitude. Mais ils se brouillèrent et finirent par s’ignorer. Les deux anciens amis, ils furent un temps voisins de palier à Barcelone, qui ne se reverront plus, refuseront toujours de révéler la moindre information sur le sujet. Durant 35 ans, Vargas Llosa fait interdire toute nouvelle publication de son livre sur García Márquez. Après la mort de ce dernier en 2014, le Péruvien affirma avoir noué un pacte avec lui pour garder à jamais le silence sur la cause de cette amitié perdue.
Récemment, le New Yorker a consacré une large place à Vargas Llosa, notamment à son virage de plus en plus à droite. « Vargas Llosa a vécu en faisant le contraire de ce que l’on attendait de lui et c’est pourquoi, à une époque où les écrivains n’ont plus d’importance, on parle toujours de lui », peut-on lire dans ce portrait.
En septembre dernier, il a déclaré : « Aujourd’hui, le féminisme est le plus grand ennemi de la littérature ». Rien de moins ! L’anti-wokisme par excellence…
Sources : The New Yorker, Veja (Brasil), El Comercio (Lima), archives personnelles