Après quatre décennies de manœuvres réussies pour éviter l’extradition vers les États-Unis, les autorités mexicaines ont finalement mis un terme à la célèbre carrière criminelle de Rafael Caro Quintero en l’envoyant cette semaine aux États-Unis pour y répondre d’accusations de trafic de drogue et de meurtre.

Le roi de la marijuana, autrefois incontesté, échappait à l’extradition depuis 1985 à la suite du meurtre de l’agent de la Drug Enforcement Administration (DEA) Enrique Camarena – un incident qui a hanté les relations bilatérales entre le Mexique et les États-Unis dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants depuis lors.  Mais tout a changé  lorsque la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum a finalement remis Caro Quintero, ainsi que 28 autres criminels recherchés aux États-Unis, aux mains des forces de l’ordre américaines.

Après sa première arrestation à la suite du meurtre de Camarena en 1985, Caro Quintero a été libéré de prison au Mexique en 2013 pour vice de forme, après avoir purgé 28 ans de sa peine de 44 ans. Il a continué à opérer dans l’ombre du monde criminel mexicain et aurait aidé à fonder le cartel de Caborca dans l’État de Sonora, dans le nord du pays, mais a été recapturé par les marines mexicains en 2022 dans son État d’origine de Sinaloa. Il avait alors 69 ans.

Les autorités américaines ont demandé son extradition dès le début, mais l’équipe de défense de Caro Quintero a réussi à utiliser divers recours juridiques pour la retarder, peut-être grâce à ses liens présumés avec d’importants acteurs politiques au Mexique. Il a obtenu diverses injonctions et suspensions fondées sur des arguments tels que des erreurs de procédure et des violations des droits de l’homme.

Caro Quintero a fait partie des fondateurs du cartel de Guadalajara, aux côtés de Miguel Ángel Félix Gallardo et d’Ernesto Fonseca Carrillo, tous trois originaires de l’État de Sinaloa.

Le trio allait révolutionner le trafic de drogue au Mexique, d’abord avec l’importation massive de marijuana aux États-Unis, puis de cocaïne. Ils ont été le premier groupe mexicain à établir une « relation de travail » avec les trafiquants de cocaïne en Colombie.

En novembre 1984, les autorités mexicaines ont fait une descente dans un ranch de 1 000 hectares connu sous le nom de El Búfalo à Chihuahua, qui appartenait à Caro Quintero et était exploité par lui. Les autorités auraient brûlé plus de 10 000 tonnes de marijuana, ce qui représente une perte totale de quelque 160 millions de dollars.

Après l’enlèvement et le meurtre de Camarena, l’agent de la Drug Enforcement Administration (DEA) qui avait mené l’opération de 1984 sur le Ranch, Caro Quintero a été arrêté en avril 1985 au Costa Rica et extradé vers le Mexique. Sa capture a marqué un tournant dans la guerre contre la drogue. Un juge l’a condamné à 40 ans de prison pour meurtre, déclenchant ce qui allait devenir des décennies de manœuvres juridiques pour échapper à la justice.

Le 9 août 2013, un tribunal local de Guadalajara a ordonné la libération de Caro Quintero après 28 ans de prison, citant un vice de forme juridique selon lequel il aurait dû être jugé pour un crime de droit commun, et non fédéral. Cette décision a suscité l’indignation des États-Unis, qui cherchaient toujours à obtenir son extradition pour le meurtre de Camarena.

Le 14 août 2013, quelques jours seulement après sa libération et sous la pression internationale croissante, un tribunal fédéral mexicain a émis un nouveau mandat d’arrêt à l’encontre de Caro Quintero. Mais à ce moment-là, le baron de la drogue avait déjà disparu. Son évasion a marqué le début d’une nouvelle phase dans sa vie de fugitif, défiant une fois de plus les tentatives des deux pays de le ramener aux États-Unis pour qu’il y soit traduit en justice. En avril 2018, le Bureau fédéral d’enquêtes américain (FBI) a placé Caro Quintero sur sa liste des 10 personnes les plus recherchées, intensifiant ainsi ses efforts pour le capturer. L’agence a offert une récompense de 20 millions de dollars – l’une des plus élevées jamais offertes à un trafiquant de drogue – pour son rôle dans le trafic de drogue et, plus important encore, pour le meurtre de l’agent Camarena. Cette désignation montre à quel point son extradition était une priorité pour le gouvernement américain, même des décennies après sa première arrestation.

Vices de procédure et juges complaisants

En mai 2020, les avocats de Caro Quintero ont déposé une requête en annulation des charges retenues contre lui pour trafic de drogue et meurtre de Camarena. La défense a fait valoir qu’il n’avait pas les ressources financières pour faire face à un nouveau procès dans une tentative de discréditer le processus judiciaire contre lui. La demande faisait partie d’une stratégie plus large visant à empêcher son extradition vers les États-Unis. Le 15 juillet 2022, après presque dix ans de cavale, les marines mexicains recapturent Caro Quintero à Sinaloa. À la suite de l’opération, cependant, 14 marines meurent dans un accident d’hélicoptère. Les autorités américaines ont immédiatement réitéré leur demande d’extradition pour le juger aux États-Unis.

L’extradition de Caro Quintero a été mise en suspens pendant plusieurs mois en 2023 après qu’un tribunal fédéral mexicain a accepté de réexaminer l’un de ses appels. Ce nouvel obstacle juridique n’est que le dernier d’une longue série de manœuvres judiciaires qui ont permis au baron de la drogue d’éviter d’être remis aux autorités américaines.

En mai 2024, Caro Quintero a déposé un nouveau recours pour empêcher son extradition. Un juge fédéral lui accorde la suspension, bloquant temporairement toute tentative de le transférer à nouveau.

Le 22 février 2025, un juge de l’État de Mexico a semblé accorder un nouveau sursis qui aurait empêché l’extradition de Caro Quintero vers les États-Unis jusqu’à la conclusion de la procédure entamée en 2022. Toutefois, avant que le juge ne puisse rendre une décision définitive, la pérsidente Sheinbaum l’a expédié, ainsi que 28 autres criminels présumés, aux États-Unis pour y faire face à toute une série d’inculpations. Son dernier appel a finalement été rejeté car il n’était plus en cours de traitement au Mexique.

Le Mexicain désormais âgé de 72 ans a été présenté menotté devant le tribunal de Brooklyn, à New York, où le ministère américain de la Justice s’est opposé à sa remise en liberté, le présentant comme «l’un des plus célèbres barons de la drogue de l’ère moderne». Le juge devant lequel il a comparu a ordonné son placement en détention dans un centre pénitentiaire new-yorkais, a indiqué la justice locale dans un communiqué.

Sources : Infobae (Mexico), InSight Crime, Reuters