Le Brésil colonial (deuxième partie)
Bois, sucre, esclaves, jésuites
Pour exploiter le Brésil, il fallait de la main-d’œuvre. L’esclavage des Amérindiens fut un échec. Le commerce triangulaire Europe-Afrique-Amérique fut une aubaine pour les colons : la tragédie de la traite négrière forgea une grande partie du Brésil. Marco Zoppi (1) : « 44 % des Brésiliens estiment tenir leur patrimoine de l’Afrique et de nombreux signes de cette influence peuvent être trouvés dans des villes comme Recife, située sur le même parallèle que Luanda, ou dans de petits villages comme Kalunga, un quilombo où environ quatre mille Noirs vivent encore aujourd’hui. Un autre exemple de l’héritage culturel concerne la religion et les cultes : Candomblé, macumba et Umbanda, dont les origines se retrouvent en Afrique, sont tous pratiqués au Brésil, après avoir été portés par les esclaves depuis le XVIe siècle.
Au moment du premier recensement national en 1872 (2), les personnes se déclarant preto (noir) ou morène (mulâtre) représentaient plus de 50 % de la population. Les esclaves devront attendre le 13 mai 1888 pour voir l’adoption de la Lei Aurea (la loi d’or) de la princesse Isabel qui abolit l’esclavage au Brésil.
Les révoltes, les quilembos
Dès la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe ont éclaté des révoltes collectives chez les petits paysans et les esclaves d’origine africaine. Elles ont engendré les quilombos, dont certains existent encore.
Les quilembos (ou mecambos) sont des communautés de Noirs marrons formées loin des plantations et qui, au fil du temps, ont donné naissance à des villages agricoles très indépendants. L’un des plus célèbres fut celui de Palmares. Il dura plus d’un siècle. Il était installé dans l’Alagoas actuel, au nord du cours inférieur du São Francisco (3).
Les révoltes violentes et collectives dans les fazendas étaient fréquentes et punies de la peine de mort par le gouvernement. « Le Brésil a probablement servi de cadre à la diffusion la plus répandue des Quilombos, où ces esclaves fugitifs qui pouvaient mener une vie normale comme paysans libres », écrit le chercher Marco Zoppi (voir note). Des Quilombos, parmi lesquels le plus connu reste Palmares, présenté comme le « véhicule » dans la propagation des esclaves dans tout le territoire brésilien, y compris dans des lieux éloignés comme l’Amazonie. Ces villages pouvaient accueillir jusqu’à plusieurs milliers d’esclaves en fuite et affichaient des degrés d’organisation sociale.
Le Quilombo dos Palmares fut donc le plus organisé et le plus durable des territoires autonomes d’esclaves marrons. Au début du XVIIe siècle, des esclaves noirs travaillant sur les plantations de canne à sucre dans la capitainerie du Pernambouc, dans le Nordeste du Brésil, se révoltèrent et s’enfuirent dans les montagnes. Ils y créèrent aux alentours de la montagne Barriga, un territoire autonome d’esclaves libres où vivaient aussi des Indiens, des Mulâtres et de nombreux soldats déserteurs et paysans sans terre blancs.
L’arrivée à Rio de Janeiro, le 26 mars 1816, d’un groupe d’artistes français, sous la houlette de Joachim Lebreton (1760-1819).
Salvador de Bahia, Ladeira de S. Bento, 1850
Cette photographie montre la Princesse Isabel, fille de Pedro II et héritière en titre du trône du Brésil jusqu’à l’abolition de la monarchie en 1889. Elle a été prise par Joaquim José Insley Pacheco (1830-1912), l’un des photographes de portraits brésiliens les plus célèbres de l’époque. Pacheco est né au Portugal et a immigré au Brésil dans sa jeunesse. Entre 1849 et 1851, il a travaillé à New York, où il a étudié avec les photographes Jeremiah Gurney et Mathew Brady. De retour au Brésil, il a ouvert un studio à Rio de Janeiro.
Palmares organisa sa propre armée pour résister aux expéditions meurtrières lancées par les colons et les autorités. Du coup, le Quilombo dos Palmares est devenu la référence emblématique de la révolte africaine « face à l’oppression de la société esclavagiste, bien que, à la même époque, s’autres quilombos aient existé, il est vrai dans une zone mal contrôlée au sud de Bahia et Ilhéus » (4) (5). Le pouvoir colonial ne pouvait tolérer ces communautés d’esclaves révoltés. Le comte d’Obidos, vice-roi du Brésil, jugeait en 1663 la destruction de Palmares indispensable.
Les seigneurs des moulins
La hiérarchie sociale du Brésil notamment dans le Pernambouc (objectif majeur des Hollandais) était dominée par les seigneurs des moulins (6) : « Ils étaient les plus puissants parce que le sucre était devenu l’activité principale de la colonie ». La plupart des seigneurs des moulins n’étaient pas nobles. À l’origine ils étaient marchands modestes, petits artisans ou simples voyageurs aventuriers. S’étant installés, ayant acquis ou construit des moulins pour transformer la canne en sucre, ils purent revendiquer une certaine puissance (souvent à l’aune du nombre de leurs esclaves) et en profitèrent pour continuellement solliciter des privilèges de fidalguia (7) pour faire oublier leurs origines plébéiennes. De leur côté, les fonctionnaires de la Couronne ou des nobles « tel le vicomte d’Asseca, se faisaient seigneurs de moulins et achetaient des esclaves pour prendre leur part de la puissance octroyée par l’économie du sucre » (8).
Pendant plus de quinze ans, en marge de son emploi comme peintre à la cour de l’empereur du Brésil, Jean-Baptiste Debret (1768-1848) va produire plusieurs centaines de dessins et d’aquarelles sur la vie quotidienne au Brésil.
Les Jésuites
Tomé de Sousa, premier gouverneur général du Brésil, amena donc avec lui le premier groupe de jésuites de la colonie. Plus que tout autre ordre religieux, les Jésuites représentent le côté spirituel de la colonisation et jouent un rôle central dans l’histoire coloniale du Brésil. Jean III avait écrit au gouverneur ces quelques mots sans ambiguïté : « La principale cause qui m’a conduit à ordonner le peuplement de ces terres du Brésil est que leurs populations se convertissent à notre Sainte-Foy catholique ». Pourtant l’évangélisation de la colonie tarda. Le pillage ou le commerce, ça dépend du point de vue, accapara longtemps toute l’attention des aventuriers, marchands, explorateurs au pays du bois rouge.
Les premiers évangélisateurs, sept jésuites, conduits par le père Manuel da Nobrega, n’arrivèrent à Salvador que bien après la création des capitaineries. Un embryon de clergé se créa de Salvador à Rio de Janeiro tout au long du XVIe siècle avec plus ou moins de succès. Quant au siècle suivant, on constate que de 1649 à 1682, le siège épiscopal de Bahia resta inoccupé et, devenu on ne sait pourquoi archevêché, il n’eut aucun titulaire entre 1682 et 1822 ! dans le Maranhão le clergé fut incomplet et le siège du diocèse inoccupé pendant quasiment un siècle.
Cette absence de hiérarchie et d’encadrement favorisa sans doute la main mise des Jésuites sur le Brésil. Ils participèrent à la création de Rio de Janeiro en 1565. Ils s’enhardirent dans l’intérieur du Brésil.
Au XVIIIe siècle, l’hégémonie des Jésuites s’étendit dans la colonie. Ils créèrent d’autres villes comme Fortaleza (1723), Parnaíba (1749).
Le succès des Jésuites dans la conversion des peuples indigènes au catholicisme est sûrement lié à leur capacité à comprendre la culture autochtone, en particulier la langue. La première grammaire de langue Tupi est réalisée par le jésuite José de Anchieta et imprimée à Coimbra en 1595. Les Jésuites réunissent souvent les Aborigènes dans des collectivités où ils travaillent pour la communauté et sont évangélisés. La Compagnie de Jésus entra en concurrence avec d’autres ordres et en conflit avec de nombreux colons.
Souvent ils défendaient les Amérindiens : « toutes les conquêtes de territoires indiens supposent le recours à la violence, car les indigènes sont les maîtres légitimes de la terre, ils n’ont rien fait de mal et ne sont pas opposés à la prédication de la foi chrétienne. Il est donc inévitable qu’ils haïront les Portugais et répudieront la religion catholique s’ils sont injustement attaqués » (9).
Si les Jésuites sauvèrent beaucoup d’indigènes de l’esclavage, ils chamboulèrent leur mode de vie ancestral. Ils contribuèrent également à la propagation des maladies infectieuses qui décimèrent les autochtones privés des défenses naturelles nécessaires. Par ailleurs, les jésuites ne se sont guère élevés contre l’asservissement des peuples africains.
Donc durant plus de 300 ans d’histoire du Brésil colonial, l’exploration économique du territoire a été basée d’abord sur l’exploitation du bois-brésil, puis sur la production de sucre avant la recherche d’or et de diamants. Autant de richesses qui éveillèrent la convoitise des Européens et pas seulement des Portugais puisque les Français furent présents dans les États actuels de l’Amapá et du Maranhão, les Hollandais en Pernambouc, les Anglais et les Espagnols dans des comptoirs en Amazonie et sur l’Atlantique.
Et les Français dans tout ça ?
Les Français ne reconnaissent pas le traité de Tordesillas. Ils vont donc tenter d’aller à l’abordage des richesse du nouvel Eldorado et essayer de coloniser quelques parties de la colonie portugaise. En 1555, le huguenot Nicolas Durand de Villegaignon fonde une colonie sur une île en face de l’actuelle ville de Rio de Janeiro, dans la baie de Guanabara. La colonie est nommée France antarctique. Mais ça tourne rapidement au fiasco. Les prêtres jésuites Manuel da Nóbrega et José de Anchieta contribuèrent à la victoire des Portugais en pacifiant les indigènes qui ont appuyé les Français.
Une autre colonie française, la France équinoxiale, est fondée en 1612 à l’emplacement de l’actuelle ville de São Luís, dans le Nord du Brésil. En 1614, ces Français sont expulsés du Brésil par les Portugais.
(1) Marco Zoppi est un analyste politique indépendant. Il est titulaire d’une maîtrise en Études africaines, de l’Université de Copenhague (Danemark).
(2) Voir ICI les archives de l’IBGE (équivalent de l’INSEE français)
(3) L’Alagoas est un petit État coincé entre le Pernambuco et Bahia, sur le littoral atlantique. Sa capitale est Maceió.
(4) Ilhéus est une commune brésilienne du littoral sud de l’État de Bahia, fondée en 1534. Elle est mondialement connue pour avoir servi de cadre aux romans de Jorge Amado comme Gabriela, Cravo e Canela.
(5) Op cité : Bennassar et Marin, Histoire du Brésil.
(6) Description de Duarte Coelho, premier donataire de la capitainerie héréditaire de Pernambouc et fondateur d’Olinda.
(7) Fidalgo (du galicien et portugais filho de algo) est un titre traditionnel de la noblesse portugaise qui désigne un membre de la noblesse, titrée ou non. On pourrait le comparer à la noblesse de robe française.
(8) Op cité : Bennassar et Marin, Histoire du Brésil.
(9) Frei Cristovão Severim de Lisboa, établi à São Luis de Maranhão fondateur de plusieurs couvents (São Luis, Bélem) et hôpitaux (Camutá, Caite et sur le fleuve Tocantins). Extrait d’une lettre au roi Jean IV.