Paraguay : Enfants victimes de la répression
Il est un petit pays dont on ne parle pas beaucoup. Et pourtant, on devrait. Au nom des droits de l’Homme. Et de l’enfant. Il s’agit du Paraguay. Il y a un an, la jeune Carmen Elizabeth Oviedo Villalba, connue sous le nom de Lichita, a été vue vivante pour la dernière fois au Paraguay. La famille Villalba, persécutée par l’État paraguayen pour avoir eu des membres dans la guérilla de l’Armée populaire paraguayenne (EPP), attend toujours des réponses. Selon des témoignages, Lichita a été capturée par la Force d’intervention conjointe (FTC) de l’armée paraguayenne alors qu’elle tentait de rentrer en Argentine par voie terrestre, pays où une partie de sa famille a trouvé refuge politiquement.
La famille a appelé à une manifestation devant l’ambassade du Paraguay à Buenos Aires.
Mirian Villalba, tante de Lichita et actuellement réfugiée en Argentine, elle est la mère d’un des enfants assassinés par la FTC, Lilian Mariana, âgée de 11 ans seulement. En évoquant Sandra Quiñonez, procureur général du Paraguay, Mirian insiste : « Cette femme est responsable de l’exécution de Lilian et Maria Carmen, de la disparition forcée de Lichita (…). Elle n’a absolument rien fait, et plusieurs autres cas restent impunis. C’est elle qui autorise les infanticides, les disparitions, les tortures, les exécutions… »
Naissance en prison
En septembre 2020, María Carmen et Lilian Mariana Villalba, des jeunes filles argentines âgées d’à peine 11 ans, ont été tuées au Paraguay par l’armée parce qu’elles étaient des parentes de membres de la guérilla de l’Armée populaire paraguayenne (EPP). Les deux jeunes filles ont été capturées vivantes le 2 septembre 2020, puis assassinées dans la région de Concepción (la capitale du pays) par les forces opérationnelles conjointes (FTC), lors d’une opération saluée à l’époque par le président paraguayen Mario Abdo Benítez.
Des manifestants exigent une réponse sur le meurtre d’enfants par l’armée paraguayenne
Un archéologue allemand et sa fille assassinés
Un archéologue et musicien allemand de 62 ans vivant au Paraguay et sa fille de 14 ans ont été retrouvés assassinés à leur domicile près d’Asuncion le mois dernier. Les corps de Bernard von Bredow et de sa fille Loreena ont été retrouvés le 22 octobre, portant des traces d’extrême violence dans leur résidence d’Aregua, à 14 km de la capitale.
Les enfants argentins s’étaient rendus au Paraguay avec Laura Villalba, la tante de Lichita et mère de Lilian et Maria, pour rendre visite à des proches, notamment les parents de Lichita, les prisonniers politiques Carmen Villalba et Alcides Oviedo, détenus depuis plus de 17 ans dans la capitale paraguayenne pour leur appartenance au PPE. Lichita et sa sœur jumelle, Tamara Anahí, sont nées en prison. Quelques années plus tard, ils sont allés vivre chez leurs tantes dans la ville de Puerto Rico, dans la province argentine de Misiones.
« Le déracinement est très douloureux, mais nous sommes habitués à nous battre », a déclaré Mariana Villalba, la grand-mère des enfants, à l’occasion du premier anniversaire de la disparition de Lichita. « J’ai 77 ans, je suis mère de huit enfants et nous avons toujours résisté ».
Les victimes de la répression au Paraguay sont surtout des Amérindiens ou de petits agriculteurs sans terre : « Le problème de la terre au Paraguay est ancien », raconte Mirian Villalba. « Il y a une énorme inégalité, où 90 % des terres sont entre les mains de 2 %. Et il n’y a pas de travail, pas de soutien pour la population rurale et indigène, seulement la répression et l’incarcération ».
Enquête
Actuellement, plusieurs dénonciations ont été faites devant des instances internationales concernant les cas de violations des droits de l’homme impliquant la famille Villalba. En Argentine, la famille est accompagnée par la Guilde des avocats argentins, qui a présenté une plainte officielle au Comité des droits de l’homme des Nations unies.
Sur le papier, le Paraguay est une république avec des élections libres. Ce n’est pas toujours vrai dans la réalité. L’actuel président est le fils de Mario Abdo Benítez, secrétaire personnel du général Alfredo Stroessner, qui a dirigé le Paraguay de 1954 à 1989, et de Ruth (Manón) Benítez Perrier. Son père appartient au « quartet d’or », le nom donné aux quatre hommes forts de la junte. Au milieu de l’année 2019, il fait face à la possibilité d’une procédure de destitution pour avoir signé avec le président brésilien Jair Bolsonaro un accord sur le barrage d’Itaipu jugé nettement défavorable pour le Paraguay. Il fait finalement annuler cet accord.
Alfredo Stroessner fut un dictateur sanguinaire protecteur d’anciens nazis dont le sinistre Mengele. Nombre de ses anciens collaborateurs et soutiens sont intégrés dans l’administration civile paraguayenne, dans la police et l’armée. Ce petit pays coincé entre le Brésil et l’Argentine est le seul, de tout le continent américain, avec la Bolivie, à ne pas avoir accès à la mer. Le Paraguay est donc un pays non seulement isolé, mais aussi très peu étudié et rarement sous les feux de l’actualité internationale. « La longévité du régime dictatorial du général Stroessner, au pouvoir de 1954 à 1989, a entretenu l’idée qu’il existe bien une spécificité paraguayenne où vulnérabilité et isolement se combinent pour façonner une trajectoire politique, démographique, économique et sociale unique et marginale dans le sous-continent », écrivait le géographe spécialiste de l’Amérique latine Sylvain Souchaud en 2015.
Ce pays rural a toujours été très défavorable aux petits paysans, victimes d’exactions. En 2012, par exemple, 384 policiers armés tentent de déloger une soixantaine de paysans présents dans un campement près de Curuguaty, pourtant déclaré « d’intérêt social » par un décret de 2004. Une fusillade éclate, faisant onze morts du côté des paysans, six du côté des policiers. La responsabilité de la tuerie fait toujours débat. En effet, l’un des dirigeants paysans, Vidal Vega, peu après avoir déclaré qu’il allait témoigner sur ce qu’il savait de la présence d’infiltrés sur les lieux du massacre, est assassiné. De plus, le film des événements réalisé par un hélicoptère de la police a mystérieusement disparu.
Le Paraguay est peuplé d’environ 7 millions d’habitants, essentiellement des métis (espagnols et amérindiens). D’ailleurs, deux langues officielles cohabitent : le guarani et l’espagnol (castillan). C’est un des pays les plus pauvres d’Amérique latine et même du monde.
En 2019, Amnesty International reproche aux autorités paraguayennes d’adopter des résolutions bafouant « les droits aux libertés d’expression, de réunion et de manifestation pacifique et l’égalité entre les personnes, entre autres ».
Sources : Brasil de fato, Reuters, La Nación (Argentine), AFP.