Plusieurs villes attaquées par des gangs au Brésil

Les factions criminelles font fermer les services publics et des commerces

 

La vague de criminalité dans les villes du Rio Grande do Norte est un nouveau chapitre de la violence récurrente entreprise par les factions criminelles opérant dans l’État du nord-est. « Aux premières heures de la matinée de jeudi, plusieurs municipalités ont été une fois de plus la cible de criminels », écrit Folha de São Paulo, et cela fait trois nuits que ça dure !

Plus d’une trentaine de villes ont été visées. « Les incendies de dépôts de pneus, de voitures et de bus, de machines agricoles et de transports scolaires n’ont pas été empêchés », malgré, souligne Estadão de São Paulo, l’arrivée mercredi « d’une partie des 220 hommes de la Force nationale promis mardi par le ministère de la Justice ».

Depuis au moins dix ans, deux groupes criminels très organisés, le Premier Commandement de la Capitale (PCC) et le Syndicat du Crime, se livrent à une guerre meurtrière pour le contrôle des territoires et des activités criminelles, une « guerre silencieuse », mais très visible qui a tué des milliers de jeunes.

Des attaques ont été enregistrées dans 39 villes au cours des trois derniers jours (les 16, 17 et 18 mars 2023). Dans certaines villes, craignant que les attaques ne les touchent, il a été décidé de fermer les écoles, écrit O Globo. « La sécurité publique est du ressort des États », rappelle Estadão de São Paulo, « mais aucun d’entre eux ne dispose des ressources nécessaires pour faire face à des organisations qui, dans le cadre d’une nationalisation et d’une internationalisation accélérées, se ramifient de manière sophistiquée à travers diverses sphères de la société civile, des marchés et de l’État ». 

Des bus et des camions ont été incendiés. À Natal, la circulation des bus et des trains a été suspendue. Le service de ramassage des ordures et les unités de santé ont été interrompus et les universités, les écoles et les magasins ont fermé leurs. Des incendies de bâtiments publics, de commerces, de véhicules et d’autobus ont été constatés depuis le milieu de la semaine dernière. Cela fait maintenant quatre jours que les habitants du Rio Grande do Norte se réveillent avec l’odeur de la fumée et les images de la situation chaotique dans leur État, constatent les journalistes.

Envoi de plus de 200 policiers

Le ministre de la Justice, Flavio Dino, a déjà annoncé l’envoi de plus de 200 policiers de la force nationale et des renforts pourraient arriver ces prochains jours.

« S’il est nécessaire d’envoyer 400, 500, 600, 800 policiers pour soutenir l’État du Rio Grande do Norte, nous le ferons. Car nous ne permettrons pas que des territoires soient abandonnés aux factions criminelles. Nous sommes solidaires du peuple de Rio Grande do Norte et de son gouvernement », a-t-il déclaré. Le ministre a également envisagé d’envoyer l’armée si la situation ne se stabilisait pas ce week-end. Pour le moment, près de 70 suspects ont été arrêtés, un grand nombre d’armes et d’explosifs a été saisi.

Natal, Mossoró e Parnamirim de la région : les trois plus grandes villes ont dû suspendre certains services de base et fermer écoles et hôpitaux. Selon les autorités locales, les attaques seraient commanditées par les membres du « Syndicat du crime », une faction criminelle régionale, en protestation aux conditions de détention dans les prisons locales.

Ces crimes auraient été motivés par les mauvaises conditions de détention dans les prisons de l’État. Lors d’inspections dans cinq prisons de l’État, l’Organisme national de prévention et de lutte contre la torture (MNPCT), une agence liée au ministère des droits de l’homme et de la citoyenneté, a trouvé des preuves de torture physique et psychologique, de manque de nourriture, de manque de soins de santé et de surpopulation.

Il semblerait que les deux bandes rivales, Sindicato et PCC, aient conclu une trêve dans le conflit pour exiger des améliorations du système pénitentiaire par le biais d’attaques violentes contre la société civile et les services publics.

Afin de développer ses activités, la faction du PCC de São Paulo s’est alliée à des groupes locaux, stimulant le commerce des armes et de la drogue et motivant les rivalités et les conflits armés. Depuis lors, les deux groupes s’affrontent pour le contrôle des territoires et le trafic de drogue dans tout le Rio Grande do Norte, bien que le gang local soit considéré par les spécialistes et les journalistes spécialisés dans la sécurité publique comme plus nombreux. Le Sindicato do Crime est apparu comme une dissidence du PCC vers 2013, parce que certains criminels refusaient de suivre les ordres de la direction de la faction de São Paulo.

« Je dirais que la grande majorité des homicides sont liés à ce conflit. À Mossoró, il arrive qu’une personne soit tuée parce qu’elle est passée d’un quartier commandé par le PCC à un autre dominé par le Syndicat du crime. Cela n’est pas accepté et la personne finit par être assassinée », explique le procureur Ítalo Moreira, lors d’une conférence de presse. À Mossoró (voir la carte) une ville d’environ 300 000 habitants, le PCC commande les quartiers du sud, tandis que le Sindicato do Crime contrôle le nord.

L’année dernière, la municipalité a enregistré 167 homicides, soit 9 de plus qu’en 2021, selon une enquête réalisée par le journaliste Cezar Alves, spécialisé dans la couverture de la sécurité publique dans la région semi-aride du Rio Grande do Norte.

Cette division géographique entre les factions s’est enrichie d’un troisième acteur il y a quatre ans : les Gardiens du Nord, connus sous le nom de GDE, un gang du Ceará qui, ces dernières années, a perdu de sa force dans la région. Les meurtres se multiplient et très peu d’auteurs de ces crimes sont arrêtés. Selon plusieurs études, à peine 22,3 % des affaires criminelles sont résolues.

« Je ne dirais pas que c’est la faute des delegados (commissaires de police au Brésil) et des officiers, mais plutôt de la détérioration de la structure pour mener les enquêtes. Il y a un manque de personnel et d’outils. Beaucoup de dossiers sont classés. Dans d’autres, je demande l’acquittement de l’accusé pour manque de preuves, alors que je suis sûr de sa culpabilité. Un jury ne peut pas condamner une personne si l’enquête ne prouve pas sa culpabilité », explique le procureur Ítalo Moreira.

 

« L’impunité finit donc par favoriser la violence, car la personne tue et n’est pas punie », ajoute-t-il.

Mais qui sont les victimes ?

Une étude réalisée en 2018 par l’Observatoire de la violence du Rio Grande do Norte (Obvio) a tenté de répondre à cette question, rapporte Globo : Entre 2011 et 2018, environ 93 % d’entre eux étaient des hommes, 85 % étaient noirs ou métis, 49 % avaient entre 18 et 29 ans. En outre, 31 % n’avaient même pas terminé l’école primaire, 54 % n’exerçaient pas de travail…

En 2017, le conflit entre le Sindicato do Crime et le PCC a provoqué un massacre dans la prison d’Alcaçuz, dans la ville de Nísia Floresta, région métropolitaine de Natal. Le 14 janvier de cette année-là, une bagarre entre les deux groupes s’est soldée par l’assassinat de 27 prisonniers. Toutes les victimes se trouvaient dans l’aile du Sindicato.

 

Les révoltes dans les prisons brésiliennes sont toujours extrêmement violentes.

Quelques jours après le massacre, le gouverneur de l’époque, Robinson Faria, (centre, mais plutôt bolsonariste dès 2017), aujourd’hui député fédéral, a promis de fermer l’unité carcérale. Mais cela ne s’est jamais produit.

L’année dernière, la détention a fait l’objet d’une inspection par des membres du Mécanisme national de prévention et de lutte contre la torture (MNPCT). Le scénario était celui de la précarité et des violations des droits de l’homme, telles que la torture et l’isolement forcé, selon un rapport de l’organisme qui sera publié dans les prochains jours.

Sous le mandat de Faria, en août 2016, des troupes fédérales ont été envoyées pour contenir la violence croissante dans l’État, lorsque des attaques ont eu lieu contre des bus et des bâtiments publics. En janvier 2017, un nouveau déploiement de forces militaires fédérales a eu lieu pour contenir les manifestations dans les prisons. Fin 2017, il y a eu jusqu’à 75 morts en l’espace de 15 jours seulement, ce qui a provoqué pour la troisième fois, en moins de deux ans, l’envoi de troupes militaires fédérales pour contenir la violence dans l’État. La police militaire a également fait une grève de 22 jours en raison de retards importants dans le paiement des salaires. Les polices militaires dépendant uniquement des États, donc des gouverneurs.

« Dans le Rio Grande do Norte, le système pénitentiaire fonctionne sur la base d’une pratique systématique de la torture physique et psychologique », a déclaré quant à elle Bárbara Coloniese, experte auprès du MNPCT, dans une interview accordée à Globo.

Dans une interview donnée jeudi, la gouverneure Fatima Bezerra a déclaré que les allégations seraient vérifiées « par le biais d’une enquête approfondie ».

« Notre gouvernement ne sera jamais d’accord avec une mesure arbitraire. Nous avons fait un grand effort pour avancer dans les projets de resocialisation, dans le domaine de l’éducation, dans le domaine de la préparation au travail, qui est même une référence nationale », a-t-il déclaré.

 Situation catastrophique dans les prisons

Pour le pénaliste Gabriel Bulhões, professeur de droit pénal et ancien président de la Commission de droit pénal de l’OAB-RN, la situation précaire des prisons de l’État n’a guère changé depuis le massacre d’Alcaçuz. « Le gouvernement de l’État a pris des mesures pour améliorer la réhabilitation, la discipline et les soins, mais il s’agissait de mesures palliatives qui ne résolvaient pas le problème chronique des violations des droits de l’homme. Si une cellule peut accueillir quatre personnes, mais en héberge dix, il ne sert à rien de créer des programmes de lecture pour réduire la peine du prisonnier », déclare-t-il.

Selon M. Bulhões, la surpopulation et la précarité des prisons « fournissent une main-d’œuvre bon marché aux factions ».

Pour revenir aux récentes attaques, les ordres, (selon le quotidien Estadão), viendraient du pénitencier d’État Rogerio Coutinho Madruga, dans le Grand Natal, où l’un des fondateurs de l’organisation criminelle, le Syndicat du crime, purge une peine de prison. Un message circulant sur WhatsApp, écrit le journal, « prétendument émis par le Syndicat, “justifie” la sauvagerie comme réaction à des conditions de détention “dégradantes” », et demande leur amélioration. Selon Estadão, le groupe a offert 5 000 reais (le real est la monnaie brésilienne) par personne, soit 900 euros, pour encourager les attaques. Cette somme équivaut à 4,5 fois le salaire minimum.

 

Sources :

Médias locaux dont les quotidiens Estadão et Folha de São Paulo. Le groupe Globo (TV et Internet), la presse internationale dont BBC Brasil, CNN et RFI.