Un sac à main vieux de 1000 ans révèle les drogues utilisées par les Amérindiens

L’analyse chimique d’objets trouvés sur un site archéologique bolivien révèle la présence de cocaïne, de benzoylecgonine (principal métabolite de la cocaïne), de bufoténine (dérivé de la sérotonine que l’on peut trouver sur la peau de crapauds et de grenouilles) et des deux ingrédients principaux de l’ayahuasca (boisson hallucinogène).

 Il y a mille ans, dans l’actuelle province de Sur Lípez, à plus de 4 000 mètres d’altitude, dans le sud-ouest de la Bolivie, un sorcier ayant une grande connaissance de la botanique et des utilisations psychotropes de certaines plantes spéciales a été enterré. La tombe a été profanée peu de temps après et, lors d’une fouille récente, le corps n’a pas été retrouvé.

Toutefois, dans cet abri baptisé « la grotte chilienne », occupé par des humains depuis 4 000 ans et qui offre d’excellentes conditions pour la conservation des matières organiques, un sac en cuir rempli d’objets a été exhumé. Il est en parfait état ainsi que son contenu très instructif raconte El Paìs (Daniel Mediavila, 07/05/2019)    

En fait, ce sac à main renfermait tout un attirail voué à la consommation de drogues diverses et variées : deux objets rectangulaires sculptés dans le bois pour inhaler des substances, un tube à fumer, deux spatules en lama, une ceinture en tissu pour la tête, des morceaux de plantes séchées et un petit sac composé de trois os de renard.

L’analyse chimique de ces artefacts, publiée dans la revue PNAS, suggère qu’à cette époque, il existait déjà les connaissances nécessaires pour élaborer l’ayahuasca, une boisson psychotrope traditionnelle des peuples amazoniens de l’Amérique du Sud. Parmi les substances détectées lors de l’excavation figurent ses deux principaux ingrédients, l’harmine, généralement obtenue à partir de la liane, Banesteriopsis caapi et l’arbuste Psychotria viridis, qui contient l’hallucinogène DMT. Dans le sac ont également été retrouvés des restes de cocaïne et de benzoylecgonine, suggérant le transport de feuilles de coca, ainsi que des traces de bufoténine, un autre hallucinogène pouvant être élaboré à partir des graines de l’arbre Anadenanthera colubrina. Cette dernière substance pouvait sûrement être inhalée après avoir été réduite en poudre sur des objets en bois fabriqués à cet effet.

Ces substances auraient fait l’objet de trafics officiels sur des grands réseaux commerciaux à des distances de plusieurs centaines de kilomètres.

Un trafic de drogues (légal) à très grande échelle

L’une des caractéristiques intéressantes de l’attirail trouvé sur le site archéologique bolivien est qu’aucune des plantes détectées n’était originaire du haut plateau semi-aride et minéral où a eu lieu l’inhumation. « Presque toutes les plantes avec lesquelles l’ayahuasca est faite sont tropicales, et il fallait quand même parcourir des centaines de kilomètres pour y accéder », explique Joseph Capriles, chercheur à la Pennsylvania State University et auteur principal de la publication révélant cette découverte. « Il y avait beaucoup de caravanes de lamas et de nombreuses sociétés se développaient à partir du commerce à longue distance », dit-il. « La consommation de ces psychotropes nous en dit long sur les vastes réseaux impliquant de nombreux contacts dans toute la région ».

Santiago López-Pavillard, auteur du livre Chamanes, ayahuasca y sanación estime que « cette découverte présente des données sur l’immense savoir phytopharmacologique des peuples autochtones d’Amérique du Sud il y a mille ans ». López-Pavillard estime que l’échantillon analysé en Bolivie pourrait provenir du bassin supérieur de l’Orénoque dans le sud du Venezuela, à l’autre bout du continent !

Il n’est pas facile de déduire comment les habitants de l’Amérique précolombienne ont acquis les connaissances nécessaires pour préparer l’ayahuasca et le curare, pour lesquels ils ont choisi une série de plantes parmi plus de 80 000 espèces de plantes de leur écosystème. Selon Lopez-Pavillard, « pour comprendre comment on acquiert cette connaissance des plantes, il faut supposer l’existence d’un type d’ethnoscience animiste, à partir duquel l’expression maître de la plante est née. Les gens apprenaient les propriétés des plantes en les utilisant et ce sont les plantes elles-mêmes qui enseignent à l’homme leurs propriétés et avec lesquelles d’autres plantes peuvent être combinées. C’est la procédure utilisée actuellement dans la jungle amazonienne par ceux qui souhaitent devenir chamanes », a-t-il expliqué.

Des millénaires d’essais et d’erreurs

Pour acquérir toutes ces connaissances botaniques, il a fallu des millénaires d’essais et d’erreur. L’analyse des momies de la civilisation Tihuanaco, une culture pré-inca de la région andine d’il y a 1600 à 1100 ans, a révélé des restes d’harmine dans les cheveux d’un garçon et d’un adulte. Cette substance aurait été utilisée à l’époque comme médicament, car bien qu’elle ait des effets psychoactifs, elle n’est pas hallucinogène.

Le gisement archéologique de la grotte de Chileno appartient à une époque où la culture Tihuanaco, qui a maintenu son influence pendant cinq siècles dans l’actuel sud du Pérou, le nord du Chili et l’est de la Bolivie, se désintégrait. Certaines études ont associé des éléments cérémoniels, tels que des objets en bois inhalés, à un système de rituels et de coutumes qui ont servi à étendre ce système culturel à d’autres régions. Les spécialistes de ces rituels, disposant de vastes connaissances, étaient probablement des membres très influents de ces anciennes sociétés andines. Grâce à certaines substances, ils pouvaient, selon les légendes, accéder aux divinités et même devenir les animaux les représentant.

 Une civilisation qui remonterait à 10 000 ans

La civilisation Tiahuanaco (ou Tihuanaco) doit son essor à l’exploitation d’un milieu pourtant très hostile situé en très haute altitude (4000 m) et au développement d’une stratégie agraire particulière, celle des camellones. Elle consiste à surélever les parcelles cultivées et les entourer de canaux pour drainer les eaux de pluie et éviter les inondations chroniques de l’Altiplano. Elle a dominé la moitié sud des Andes centrales entre le Ve siècle et le XIe siècle. Mais beaucoup de scientifiques la font remonter à au moins 10 000 ans.

Le principal élément qui permet de donner une datation qui remonterait au-delà de 10 000 ans av. J.-C. est d’ordre astro-archéologique. En effet, le site présente des portes et des piliers latéraux qui sont alignés sur les équinoxes (porte) et sur les solstices (poteaux). Or, la date à laquelle les solstices se levaient dans l’axe des poteaux est bien plus ancienne que les théories proposées. Il faut remonter plus loin que 10 000 ans av. J.-C. pour que le site coïncide avec les solstices.

 

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Concernant les éléments cités dans l’article :

PNAS (Chemical evidence for the use of multiple psychotropic plants in a 1,000-year-old ritual bundle from South America)

Santiago López-Pavillard (Chamanes, ayahuasca y sanación)

José M. Capriles (Department of Anthropology, 410 Carpenter Building, University Park, PennState