Le Centre Wiesenthal révèle les noms de 12 000 nazis qui vivaient en Argentine

Une liste découverte par hasard

Le Crédit Suisse pointé du doigt

Le chercheur argentin Pedro Filipuzzi a découvert une liste détaillant 12 000 noms de nazis qui se sont retrouvés en Argentine via des comptes bancaires liés au Crédit Suisse. Le Centre Simon Wiesenthal l’a rendue publique. « Beaucoup de nazis avaient contribué à un ou plusieurs comptes bancaires à la Schweizerische Kreditanstalt, (devenue plus tard le Crédit Suisse) basée à Zurich précisé l’organisation des droits de l’homme, dédiée à la recherche sur l’Holocauste et à la lutte contre l’antisémitisme dans un communiqué de presse.

En fait cette découverte s’est faite par hasard. C’est en cherchant des papiers dans le sous-sol d’un ancien bâtiment à Buenos Aires que Pedro Filipuzzi a découvert un document portant le nom de 12 000 nazis. Des dizaines de dirigeants responsables de l’Holocauste et de l’extermination des victimes dans les camps de concentration, y compris des personnalités de premier plan telles que Josef Mengele et Adolf Eichmann, ont fui en Argentine vers la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Tout au long des années 1930, le régime militaire pro-nazi du général José Félix Uriburu, surnommé Von Pepe (il était germanophile) et de son successeur Agustín Pedro Justo, ont salué et encouragé une présence nazie croissante en Argentine. Dès la fin de 1944, beaucoup de nazis ont préféré s’exiler en Argentine. En 1944, le gouvernement du dictateur germanophone Edelmiro Farrel a ordonné à la commission de fermer et de brûler le document avec les 12 000 noms. Mais on ne savait pas qu’il existait une copie. C’est celle-ci que P. Filipezzi a découverte et que le Centre Wiesenthal a publiée. Dans cette liste de nombreux noms répertoriés étaient liés à des sociétés pro-nazies mises sur liste noire par les États-Unis et le Royaume-Uni pendant la Seconde Guerre mondiale. Telles que G Farben (le fournisseur des camps de concentration d’étain utilisé pour le gaz Zyklon-B) et des organismes financiers comme la Banco Alemán Transatlántico ou la Banco Germánico de América del Sur.

Le Crédit Suisse sommé d’ouvrir ses archives 

La liste, établie entre 1941 et 1943 par une commission spéciale ordonnée par le président antinazi Roberto Ortiz était donc cachée (du moins une copie) dans les sous-sols d’une ancienne banque allemande. Près de 80 ans plus tard, la découverte de cette liste a permis au Simon Wiesenthal Center de reconstruire la route de l’argent nazi dans le pays d’Amérique du Sud. L’hypothèse est que l’argent allemand pris aux Juifs est entré en Argentine pour financer des affaires légales d’hommes d’affaires pro-nazis. Une partie de ces investissements est ensuite revenue en Europe via la banque suisse Schweizerische Kreditanstalt, aujourd’hui dénommée Crédit Suisse.

« Ces comptes incluaient des sociétés allemandes comme IG Farben (fournisseur de gaz Zyklon-B, utilisé pour exterminer les Juifs et autres victimes du nazisme), et des organisations financières comme la German Transatlantic Bank et la Germanic Bank of South America. Ces deux banques ont apparemment servi à effectuer des transferts financiers nazis en Suisse », a expliqué Shimon Samuels, directeur des relations internationales du Centre Simon Wiesenthal.

Le centre Simon-Wiesenthal est une ONG créée en 1977 et reconnue par les Nations unies et l’UNESCO. Son siège est basé à Los Angeles aux États-Unis. Elle tire son nom de Simon Wiesenthal, ancien architecte autrichien qui a perdu de nombreux membres de sa famille dans la Shoah, et qui a ensuite mené un combat pour traquer les nazis ayant fui au moment de la chute du Troisième Reich. Le Service autrichien de la Mémoire soutient l’organisation, en envoyant ses collaborateurs aux États-Unis. En savoir plus ICI ou .

Liste des criminels de guerre nazis les plus recherchés du centre Simon-Wiesenthal (liste actualisée et liste précédente depuis 2005)

Le site du Centre Simon-Wiesenthal

Un document avec les noms des contributeurs à la cause nazie parvint au Congrès argentin en 1941, après une descente de police au siège de l’Union allemande de Grêmio. Cette société a servi de façade aux milliers de sympathisants nazis vivant à Buenos Aires depuis les années trente, lorsque les dictateurs José Félix Uriburu et son successeur Agustín P. Justo, ont ouvert les frontières à des milliers d’immigrants du Troisième Reich. C’était une époque où la présence nazie à Buenos Aires était connue et visible au grand jour. En 1938, le gymnase de Luna Park, le plus grand de Buenos Aires, a accueilli une grande fête avec des croix gammées et des discours en faveur d’Adolf Hitler. La commission d’enquête du Congrès a ensuite signalé que l’organisation du Parti national-socialiste allemand à l’étranger comptait environ 1 400 membres à Buenos Aires, auxquels s’ajoutaient 12 000 membres de l’Union allemande des guildes et 8 000 autres d’organisations nazies locales.

Les généraux argentins Edelmiro Julián Farrell et José Félix Uriburu

Lorsque la guerre a éclaté, Hitler n’était plus en mesure d’échanger des marks allemands contre des dollars. Et il a trouvé un endroit approprié en Argentine pour le faire. La monnaie allemande est arrivée à Buenos Aires, a été échangée contre des dollars et renvoyée en Europe par la banque suisse Schweizerische Kreditanstalt. « Les 12 000 personnes figurant sur cette liste n’ont pas toutes triangulé l’argent nazi pour l’Allemagne, mais toutes les personnes qui ont triangulé figurent sur cette liste », explique Ariel Gelblung, directeur pour l’Amérique latine au Wiesenthal Center.

Selon Ariel Gelblung il est quasi impossible de calculer le montant total déposé sur des comptes suspects, mais précise que ce sont ces dollars qui ont servi de capital de départ au Crédit Suisse, héritier de la Schweizerische Kreditanstalt après la fin de la guerre. Le Centre Simon Wiesenthal a envoyé une lettre au vice-président du Crédit Suisse, Christian Küng, demandant l’ouverture des dossiers de la banque concernant le document fortuitement découvert à Buenos Aires.

« Nous pensons que ces comptes inactifs sont très susceptibles de contenir de l’argent pillé aux victimes juives, en vertu des lois d’aryanisation de Nuremberg des années 1930 » est-il précisé dans la lettre reçue par Christian Küng de la part du Centre. Jusqu’à présent, la banque suisse n’a pas répondu à la demande du Centre.

« Aujourd’hui, nous savons qu’il y a des héritiers de ceux qui avaient ces comptes. Ils veulent récupérer l’argent. Mais d’abord, la banque doit ouvrir ses archives afin que nous puissions analyser l’origine de ces fonds. La croissance exponentielle des dépôts a coïncidé avec le pillage nazi des Juifs », prévient Ariel Gelblung.

Affaire à suivre.