C’est un chat sauvage timide, mystérieux, sacré : le gato-palheiro laisse les scientifiques perplexes

 On l’appelle gato-palheiro, pampas cat ou encore colocolo et même chat de pailles. Il n’en garde pas moins un certain mystère aux yeux des scientifiques qui, depuis de longues années, tentent de déterminer à la fois ses origines, son mode de vie et son habitat. Charles Darwin connaissait ces chats par leur ancien nom de Felis pajeros, qui était dérivé de paja, ce qui signifie « paille », car ils vivaient dans des roselières (zones bordières des étangs, marais où les roseaux constituent l’essentiel de la végétation). Le scientifique qui a décrit ce chat pour la première fois dans la littérature scientifique a utilisé le nom de colocolo, le nom d’un ancien chef guerrier araucanien du Chili.

Après une analyse ayant pris en compte le pelage, le crâne, l’ADN et la répartition géographique de ces animaux, une équipe de scientifiques brésiliens épaulée par des confrères chinois a conclu qu’il existe cinq espèces différentes de ces chats sauvages sur le territoire sud-américain, dont deux au Brésil :

Leopardus braccatus, présent dans une large zone du cerrado, et Leopardus munoai, un félin de la pampa, dont le territoire correspond principalement à la région frontalière entre le Rio Grande do Sul et l’Uruguay. Les trois autres espèces vivent principalement dans les Andes et dans des régions de végétation plus ouvertes en Argentine.

Un chat très timide

La difficulté de classer correctement ce groupe de chats de taille modeste (environ 3 kg) dépend en partie de l’extrême rareté de ces animaux particulièrement timide. « Un collègue de Rio Grande do Sul m’a dit que, en plus de dix ans de travail sur le terrain, il n’a réussi à voir ces chats que trois fois, dont l’un à travers un piège photographique [lorsque la caméra se déclenche automatiquement dès que l’animal passe devant un capteur] », explique Fabio Oliveira do Nascimento, du Zoology Museum de l’USP, qui est l’un des auteurs de l’étude. Avec ses collègues, Nascimento a effectué la comparaison la plus large jamais faite de spécimens de Leopardus pajeros, présents dans les musées de plusieurs pays d’Amérique du Sud, des États-Unis et d’Europe. L’équipe scientifique a également pris en compte des données sur le matériel génétique félin obtenues lors d’études précédentes et, enfin, il a effectué une analyse sur la relation entre les caractéristiques environnementales des différentes régions d’Amérique du Sud et la répartition géographique de ces petits mammifères. Dans ce cas, l’intention était de vérifier s’il y avait une corrélation entre l’apparition des chats et les différents environnements, ce qui suggérerait une adaptation des différentes lignées des animaux à des zones spécifiques du territoire. D’abord ces études ont montré que le chat sauvage s’adaptait à son environnement et que la sous-espèce (Leopardus colocolo pajeros) de ces félins compte plusieurs groupes parfois différents des uns des autres notamment en ce qui concerne le pelage d’où les cinq grandes populations réparties sur le sous-continent américain.

De l’ouest vers l’est

Un autre résultat important est qu’il s’agit d’espèces relativement jeunes, qui ont commencé à se séparer il y a environ un demi-million d’années, pendant le Pléistocène (l’ère glaciaire). En Amérique du Sud et dans le monde, le Pléistocène a été marqué par de grandes fluctuations climatiques, mais, en général, cette période géologique a connu plusieurs périodes relativement plus sèches et plus froides, avec une expansion des zones de végétation ouverte (types savane ou pampa). Cela a probablement permis aux chats de meule de foin (oui, un autre nom !), à l’origine des animaux andins, de se propager vers l’est. À mesure que le climat se rapprochait du climat actuel, les forêts tropicales ont recommencé à croître, séparant les différentes populations de félins. Si la classification des animaux est devenue plus claire, presque tout reste à découvrir sur leurs habitudes et leur comportement. On sait que, comme d’autres chats de taille modeste, les chats des pampas sont solitaires et chassent les petits vertébrés. Il mesure entre 50 et 70 cm de long, 30 et 35 cm de hauteur au garrot, il possède une queue de 20–25 cm de long et pèse entre 3 et 7 kg en moyenne. Il a les oreilles pointues et la couleur de sa robe, très variable, peut être grise, jaune ou brune, avec des rayures brun foncé. Une crinière dorsale existe chez certains individus. Les portées comptent en moyenne deux petits, après une durée de gestation de 80-85 jours. Son espérance de vie est similaire à celle du chat domestique. La classification du Leopardus colocolo est encore débattue. Dans les années 1990, des études morphologiques, basées sur la couleur et la structure du pelage, des mesures crâniennes et l’observation de l’habitat tendent vers la séparation de l’espèce en trois espèces distinctes Leopardus braccatus, Leopardus pajeros et Leopardus colocolo. Mais cette classification est contestée. L’Union internationale pour la conservation de la nature à considérer le chat des pampas comme une unique espèce en attendant que de nouvelles études puissent valider définitivement ce statut taxonomique.

On le trouve donc au Brésil, mais aussi en Argentine et au Chili. Quelques individus ont été repérés en Équateur. Des appareils automatiques ont pris des milliers de clichés de pratiquement tous les petits mammifères vivant en Amérique du Sud. Seuls 2 % des caméras ont été déclenchées par le chat pampa.

Un chasseur nocturne dans les Andes et diurne dans les plaines brésiliennes

Le domaine vital d’un chat Pampa à collier radioélectrique dans le parc national Emas était en moyenne de 19,47 km², tandis qu’une femelle surveillée dans les hautes Andes boliviennes occupait une superficie de 55,3 km². Dans les Andes, ils peuvent facilement être confondus avec le chat andin Leopardus jacobita et les chercheurs ont souvent du mal à identifier les juvéniles des deux espèces sur les photos des pièges photographiques. Les chats Pampas occupent plus de types d’habitats que tout autre chat d’Amérique latine. Ils se trouvent dans les prairies, les forêts épaisses, les zones boisées ouvertes, les zones marécageuses, la savane, les broussailles épineuses sèches et ne sont absents que des forêts pluviales de plaine. Ils ont été observés jusqu’à 5 000 mètres d’altitude dans les Andes, où ils partagent une grande partie de leur aire de répartition avec le chat andin. Au sud de leur aire de répartition, ils se trouvent dans le désert froid et semi-aride de Patagonie. Ils ne semblent pas tolérer des habitats modifiés tels que les plantations forestières et les franges des zones agricoles et sédentaires. Leurs mœurs sont différentes dans les Andes et au Brésil. En effet, le chat pajero est un chasseur nocturne dans les Andes et diurne dans les plaines brésiliennes. On ne sait absolument pas pourquoi. Toujours est-il que ces félins se nourrissent d’une variété de petits mammifères tels que les cochons d’Inde et en particulier les petits rongeurs comme les souris à oreilles et la vizcacha des montagnes. Ils sont connus pour prendre des flamants roses et des oiseaux vivant au sol et ont été observés en train de piller des nids de manchots pour des œufs et des poussins en Patagonie. Les éleveurs de chèvres ont rapporté que ce petit chat tue des chèvres adultes, et ils sont connus pour faire des descentes dans des poulaillers domestiques. Ils sont également connus pour manger des charognes, récupérer du bétail et d’autres carcasses de grands mammifères.

Menaces et protection, animal sacré

Le chat pampa est menacé par la perte et la dégradation de son habitat dues à l’extraction de pétrole, aux terres agricoles et au pâturage du bétail. Il existe peu d’informations sur l’état de cet animal dans la nature et sur les estimations de sa population. Dans la Liste rouge de l’UICN, il est considéré comme quasi menacé. En Argentine, en Bolivie et au Brésil, il est même classé comme vulnérable. En Uruguay, l’espèce était considérée comme éteinte, mais il existe actuellement des mentions sporadiques dans ce pays. Les chats pampas présents au Chili sont considérés comme le groupe le plus menacé en raison de leur petite aire de répartition géographique. Leur chasse est interdite en Argentine, Bolivie, Chili, Paraguay, Pérou, Brésil, Équateur et Uruguay.

 Étant donné que l’on sait si peu de choses sur le statut du chat Pampa, il est difficile de déterminer dans quelle mesure les populations sont touchées par différentes menaces. Ce chat est respecté comme animal sacré dans les Andes, c’est un symbole de terre et de fertilité. Les Andins affirment que les rencontres avec ce chat porteront chance et tuer un chat pampa apportera la malchance et la mort au chasseur et à sa famille. À noter que des peluches à son effigie sont utilisés dans les cérémonies culturelles pour l’élevage et l’agriculture. En 2017, en Argentine, un couple de fermiers affirmait avoir recueilli un chaton pampa. Adulte, l’animal continuait de chasser et ne se nourrissait jamais à la ferme où il ne venait qu’irrégulièrement pour dormir.

Sources : Folha de São Paulo, UICN, International Society for Endangered Cats (ISEC) Canada, IPC (Pró-Carnívoros)

La vidéo ci-dessous (une rareté) a été réalisée en 2015, au Pérou.