Pérou

Des squatters menacent de mort l’archéologue qui a découvert la plus ancienne ville des Amériques sur fond de conflit foncier

Des résidents illégaux ont envahi les ruines de la plus ancienne ville des Amériques et ont proféré des menaces de mort contre Ruth Shady, la célèbre archéologue péruvienne qui a découvert la civilisation Caral vieille de 5 000 ans. Les vestiges de la plus ancienne ville des Amériques font l’objet d’une bataille féroce entre squatters et archéologues. Les ruines de Caral, une cité sacrée vieille d’environ 5 000 ans située dans la région de Lima, au Pérou, ont été envahies à de nombreuses reprises par plusieurs individus depuis le début de la pandémie. Ces gens affirment notamment que les vestiges, imbriqués dans la vallée désertique de Supe, leur reviennent de droit depuis une réforme agraire.

Les menaces provenaient d’appels téléphoniques et de messages adressés à divers travailleurs du site archéologique au plus fort de la pandémie de Covid-19 au Pérou. « Ils ont appelé l’avocat du site et lui ont dit que s’il continuait à me protéger, ils le tueraient, avec moi, et nous enterreraient à cinq mètres sous le sol », a déclaré Ruth Shady, 74 ans. « Puis ils ont tué notre chien en guise d’avertissement. Ils l’ont empoisonné, comme pour dire, regardez ce qu’il va vous arriver », dit-elle.

Ce n’est pas la première fois que Ruth Shady est menacée ou attaquée. En 2003, elle a reçu une balle dans la poitrine lors d’un assaut contre le complexe archéologique de 626 hectares qui a été déclaré site du patrimoine mondial par l’UNESCO en 2009. Après neuf invasions de la ville sacrée pendant la période pandémique, Ruth Shady et son équipe ont demandé à plusieurs reprises aux autorités d’intervenir.

« On a le sentiment qu’il n’y a pas d’autorité vouée à la protection et à la défense de notre patrimoine. C’est une énorme inquiétude », dit-elle.

Ruth Shady

Ruth Martha Shady Solís, née le  à Callao au Pérou, est une anthropologue et archéologue péruvienne. Elle est la fondatrice et directrice du projet d’archéologie à Caral.

En juillet, des squatters ont abattu des murs en adobe et ont déchiré le sol, détruisant des céramiques anciennes, des tombes contenant des momies, des textiles et des restes de maison, avant que la police et le personnel du site ne puissent les arrêter. À la suite des appels de R. Shady, une voiture de police patrouille désormais sur le site archéologique jour et nuit, mais rien n’a été fait pour punir ou expulser les envahisseurs.

On pense que les squatters appartiennent à une seule et même famille élargie. Ses membres prétendent que la terre leur a été donnée dans les années 1970 pendant la réforme agraire controversée du Pérou. Ruth Shady nie la revendication : « Ils n’ont pas un seul titre foncier. Le propriétaire du terrain est l’État péruvien ».

Le plus ancien centre de civilisation des Amériques

Une expulsion prévue de l’un des squatters a été contrecarrée en décembre lorsqu’un procureur et un responsable locaux n’ont pas donné l’ordre de poursuivre malgré le soutien des policiers, a déclaré l’archéologue. Les prix des terrains dans la région sont passés d’environ 5000 dollars par hectare jusqu’à 50 000 dollars par hectare, alors que des étrangers se précipitent pour acheter des terres autour du prestigieux site archéologique qui est entouré d’une zone tampon de 90 kilomètres carrés. Shady, qui a été nommée sur la liste des 100 femmes de la BBC l’année dernière, a visité Caral pour la première fois en 1978. Mais ce n’est qu’en 1994 qu’elle a découvert la ville antique et a commencé à fouiller méthodiquement le lieu, situé sur une terrasse désertique sèche donnant sur la Vallée du fleuve Supe à 180 km au nord de Lima. Elle a alors découvert le « plus ancien centre de civilisation des Amériques » que l’UNESCO décrit comme « exceptionnellement bien conservé » avec une conception architecturale complexe avec « des plates-formes monumentales en pierre et en terre et des cours circulaires englouties ». La matière organique trouvée sur le site a été datée au carbone 14 de 2630 ans environ avant notre ère. Ruth Shady et son équipe ont fouillé une douzaine d’anciennes colonies, la moitié des vingt-quatre situées dans la vallée de Supe qui font partie de la civilisation Caral-Supe. Leurs découvertes ont révélé des instruments de musique tels que des flûtes en os et des preuves de la culture du coton multicolore utilisé dans les textiles.

« Nous ne pouvons pas permettre aux sites archéologiques de continuer à être envahis », a déclaré Ruth Shady. « Si nous ne pouvons pas faire cela, c’est comme brûler un livre que personne ne lira jamais ». « J’espère que nous pourrons continuer à fouiller et continuer à récupérer notre histoire, car elle a un message tellement intéressant », a-t-elle ajouté. « C’était une société très, très pacifique. Nous n’avons même pas trouvé une seule colonie fortifiée.

Les ruines de la ville de Caral se trouvent au Pérou au nord de Lima sur le bord sud de la vallée du fleuve Supe qui descend des Andes. Il est grossièrement limité par la vallée de Lurín, au Sud, et la vallée de Casma, au Nord. Il comprend quatre vallées côtières : Huaura, Suoe, Pativilca et Fortaleza. Les sites connus sont concentrés dans les trois premières vallées, qui partagent une plaine côtière commune. Celles-ci couvrent seulement 1800 km² et les recherches ont porté sur les centres de population les plus denses. Comme il est typique dans les paysages péruviens, la vallée du fleuve est fertile grâce à l’irrigation, mais dès qu’on s’éloigne de l’eau, particulièrement sur les reliefs, on se retrouve dans le désert. Les civilisations anciennes du Pérou prenaient bien soin de construire leurs habitats pas très loin de l’eau, mais dans les zones désertiques proches, inexploitables pour l’agriculture, pour ne pas perdre d’espace.

Les ruines sont composées de nombreuses pyramides dans lesquelles on a retrouvé des shicras. Ce sont des sacs constitués d’une sorte de filet à grosses mailles fait en cordage de végétaux tressés, pour transporter des pierres. Le shicra peut porter jusqu’à 30 kg. Grâce à eux on a pu dater avec précision l’âge des monuments de Caral. Caral remonte à au moins 2600 ans avant Jésus Christ, la même époque que les grandes pyramides égyptiennes, donc Caral est parmi les plus vieilles villes du monde.

Les ruines de Caral ont été particulièrement bien conservées parce qu’elles sont dans le désert où l’action de l’érosion est moins intense que dans les régions humides. La ville elle-même se trouvait au pied de montagnes arides, elle aurait été abandonnée à la suite de fortes inondations qui auraient emporté une grande partie de la cité et enseveli le reste sous des torrents de boues. Les inondations catastrophiques auraient été provoquées par le phénomène climatologique El Niño qui se produit périodiquement. Le désert péruvien est particulièrement aride. El Niño entraîne des pluies diluviennes dans les régions désertiques du Pérou, l’eau s’accumule dans les creux formant parfois des lacs temporaires de grande étendue. On a également évoqué la possibilité de tremblements de terre répétés, car le site est situé dans une zone sismique.

Ruth Shady voit dans Caral, une civilisation pacifique, plutôt matriarcale et respectueuse du développement durable. Elle y voit surtout la première forme urbaine du continent américain, et elle s’attache avec acharnement à mettre en valeur et restaurer le site, malgré les difficultés.