Il y a 500 ans Hernán Cortés débarquait au Mexique
L’occasion de ressortir de (très) vieilles histoires
Les restes du conquistador ont été gardés en un lieu secret pendant 123 ans
Hernán Cortés a posé le pied pour la première fois au Mexique le 23 avril 1519, il y a donc cinq siècles, et ce demi-millénaire sera fêté des deux côtés de l’Atlantique, en Espagne et au Mexique.
« Parler de conquérants n’est pas très politiquement correct au XXIe siècle et c’est pourquoi il est si important de connaître son contexte historique pour retrouver la figure d’un homme à mi-chemin entre le Moyen Âge et l’ère moderne et comprendre ses préoccupations et ses intérêts dans un moment de fusion de la couronne de Castille avec celle d’Aragon et de la confrontation avec le monde musulman », explique le grand historien britannique John H. Elliott, spécialiste de l’empire espagnol dans une interview publiée par El Paìs en 2015. « Cortés était beaucoup plus cultivé et plus intéressant que les autres conquistadors. C’était un politicien extraordinairement machiavélique et également un entrepreneur très ambitieux, même au-delà de ses capacités », avait-il ajouté.
Il voulait revenir en Nouvelle Espagne
Hernán Cortés est mort de la dysenterie ou d’une pleurésie le vendredi 2 décembre 1547 en Espagne, à l’âge de 62 ans, alors qu’il était sur le chemin du retour en Amérique. Malgré les énormes richesses et surtout les territoires qu’il apporta à son roi, il disparut pratiquement en disgrâce, sa gloire passée étant occultée par les immenses trésors ramenés à ce moment du Pérou par Francisco Pizarro. L’inhumation a eu lieu dans une église de Séville. En 1629, le dernier descendant masculin de la lignée Cortés fait transporter son arrière-grand-père à Mexico dans l’église franciscaine San Francisco de Texcoco, où sa mère (Catalina Pizarro) et une de ses filles avaient été inhumées. En 1794, l’urne est ouverte, son contenu vérifié. On y trouve les os enveloppés dans un drap brodé de soie noire et de dentelle. Le crâne était dans une écharpe du même tissu avec de la dentelle blanche. Puis l’urne est transférée à l’Hospital de Jésus, fondé par Cortés. En 1823 le mouvement indépendantiste menace de détruire l’urne et d’en brûler les restes sur la Plaza de San Lazaro. Et c’est à partir de là que les choses se compliquent.
Un certain mystère a d’ailleurs toujours entouré la vie et la personne d’Hernán Cortés « Il avait belle taille avec un corps membru harmonieusement développé. Son visage, d’un aspect peu réjoui et d’une couleur presque cendrée, aurait eu plus d’élégance s’il eut été plus allongé. Son regard était à la fois doux et grave. Sa barbe foncée et rare couvrait peu sa figure. Il avait la poitrine large et les épaules bien taillées. Son corps était mince et son ventre effacé », a écrit du conquistador espagnol Bernal Díaz del Castillo.
Cortés et son double
Ce dernier est l’auteur de l’Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, un témoignage sur la conquête du Mexique considéré comme très fiable par les spécialistes. Sauf que, selon Christian Duverger, cette chronique « fut en fait rédigée par Cortés lui-même, et que le célèbre fantassin, père de la littérature mexicaine d’après Carlos Fuentes, n’a été qu’un obscur prête-nom ». Christian Duverger, spécialiste de Cortés, mésoaméricaniste directeur du Centre de Recherche sur l’Amérique préhispanique (CeRAP) et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales, fait cette révélation dans son livre « Cortés et son double, enquête sur une mystification » paru au Seuil en 2013.
Si on connaît les circonstances et la date de sa mort, ainsi que le lieu : Castilleja de la Cuesta, province de Séville, on a perdu la trace de sa tombe pendant des décennies.
La plus grande énigme d’Hernán Cortés aura donc été sa tombe. Entre le XIXe et le XXe siècle, sa disparition a nourri l’un des plus grands mystères historiques de l’Amérique. Il y avait ceux qui pensaient qu’elle avait été renvoyée en Europe, d’autres ont spéculé sur une simple perte ou un vol, et certains l’ont cherchée en vain au Mexique.
En fait, en 1823, après la guerre d’indépendance et la fureur anti-espagnole qui balayait le Mexique, le ministre mexicain Lucas Alamán, a élaboré un plan visant à empêcher que la tombe, ou plutôt l’urne du conquistador espagnol, ne tombât entre les mains de profanateurs et ne soit détruite. Tout en faisant croire que le tombeau avait été envoyé en Italie, il l’aurait d’abord caché dans un souterrain. Un peu plus tard, l’urne a été dissimulée derrière un mur de l’église de la Purísima Concepción y Jesús Nazareno à Mexico. Lucas Alamán aurait dissimulé lui-même le cercueil dans une niche et fourni à l’Espagne un… certificat d’inhumation. Le document est gardé secret pendant 123 ans…
La découverte de 1946
Et puis le Mexique voua Cortés aux gémonies et tout fut oublié. Jusqu’en 1946 où un ancien ministre républicain espagnol en exil au Mexique, Indalecio Prieto, publia un article. Il révéla l’histoire secrète et appela à la réconciliation. « Le Mexique est le seul pays d’Amérique où la rancœur causée par la conquête et la domination n’est pas morte… », écrit-il.
Dans le même temps, des documents attestant de l’emplacement de cette sépulture sont découverts. Des chercheurs du Colegio de Mexico mettent la main sur le certificat d’inhumation de Lucas Alamán et des travaux d’excavation sont pratiqués. L’urne est rapidement mise au jour et confiée à la garde de l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire pour authentification. Ces travaux révéleront des traces d’abcès au niveau des incisives, des canines et des prémolaires ce qui nous apprendra que Cortés devait avoir une mauvaise dentition. Les scientifiques ont également trouvé « les fémurs droit et gauche complets, les tibias droit et gauche complets, les péronés droit et gauche, la rotule droite complète et normale ».
L’urne est en cristal et bois doré, marqués aux armes de Cortés, enfermée dans une caisse de bois, elle-même enfermée dans deux caisses de plomb, le tout enveloppé dans une étoffe de velours.
L’authentification de 1947
L’authentification s’étant révélée positive, les os et l’urne sont replacés là où ils avaient été découverts.
Une commission ad-oc composée de hauts fonctionnaires, de scientifiques et d’hommes de loi est constituée. Elle déclare très officiellement, le 9 juillet 1947 :
« Au vu des preuves documentaires, anthropologiques et techniques, les membres de cette commission ont estimé que les restes actuels sont les mêmes que ceux qui ont été enterrés en 1836 dans le temple de Jésus Nazareno rattaché à l’Hôpital de Jésus. Et quant aux preuves antérieures à cette époque, qui ont permis d’attribuer à Hernán Cortés les restes qui ont été enterrés dans ledit Temple, il faut prendre en compte le fait que les documents ont été publiés dans les mémoires de M. Lucas Alamán, dans l’édition de 1942 du volume II, pages 312 à 373 corroborant la même attribution, le document conservé à l’ambassade d’Espagne et celui retrouvé avec les restes. Par conséquent, la Commission déclare que les restes soumis à l’examen sont les mêmes qu’en 1836 et qu’ils ont été enterrés dans le temple de Jésus-Nazareno annexé à l’hôpital de Jésus, après avoir été attribué à Hernán Cortes, sur la base de documents et de traditions ».
En fait, vers 1524, Hernán Cortés fonda un hôpital à cet endroit. L’espace choisi était un lieu appelé Huitzilac (lieu des colibris à Náhuatl) près de la route d’Iztapalapa à l’endroit où, selon la tradition, il y avait la source d’eau qui approvisionnait Mexico au moyen d’un aqueduc. On pense donc que la première entrevue entre Cortés et Moctezuma Xocoyotzin a eu lieu à ce moment-là.
« Le Mexique moderne ne veut plus se souvenir d’un colonialisme abhorré. De cette revanche sur l’Hispanidad, la Cité universitaire de Mexico dresse, sur les laves du Pedregal, l’admirable symbole, dont le modernisme fonctionnel s’inscrit sans un heurt dans les grandes traditions du génie aztèque », écrivait Pierre de Boisdeffre en 2016 dans la Revue des Deux Mondes.
Nay que responder
Cortés n’est pas mort dans la misère, mais il ne fit pas fortune. Il s’était installé à Valladolid où il a fondé, dans sa propre maison, une « Académie », un cercle de lettrés débattant sur l’air du temps et sur l’Histoire.
Il était de plus quasiment tombé en disgrâce. Voici ce qu’il écrivait, amer, dans sa dernière lettre à Charles-Quint : « Je pensais qu’ayant peiné dans ma jeunesse, il me serait profitable de trouver du repos dans mon vieil âge ; c’est pour cela que pendant quarante années, j’ai travaillé, me privant de sommeil et mangeant mal sinon pas du tout, chargé du fardeau de mon armure, risquant souvent ma vie, sans ménager mes moyens ni mon temps, au service de Dieu pour ramener dans Son troupeau des brebis d’un hémisphère fort éloigné du nôtre… J’ai supplié Votre Majesté à Madrid de daigner me faire savoir si Elle aurait l’infinie bonté de me rémunérer pour mes services… Je suis vieux, pauvre et endetté de plus de 20 000 ducats… Je n’ai pas un instant quitté la cour, et j’ai trois fils avec moi… Je ne sais combien de fois j’ai supplié Votre Majesté… Je suis trop vieux pour aller d’auberge en auberge, j’aimerais me fixer quelque part pour faire mes comptes avec Dieu. Ce sera long, et il ne me reste plus beaucoup de temps ».
Au dos de la lettre, cette note manuscrite : « Nay que responder ».
En 1947, les restes de Cortés ont été délogés de leur niche pour être installés à gauche de l’autel, tout au fond dans la même église de la Purísima Concepción y Jesús Nazareno. Ils y seraient toujours.
À trois mètres du sol, il y a la plaque qui marque l’endroit où reposerait le conquérant. Elle est faite en bronze. Avec cette simple inscription : Hernán Cortés 1485 – 1547. Cette plaque est coincée entre des chaises et des bancs enchevêtrés, des sacs de ciment, des outils…
Qui vient voir la plaque ? Qui vient se recueillir à cet endroit aujourd’hui ? Personne !
— Martínez, José Luis : Hernán Cortés, Breviarios FCE, Mexique 1992
— Pereyra, Carlos : Hernán Cortés, Éditorial Porrúa, SA, Mexique 1985
— El Paìs (25 mars et 2 juin 2015 )
— La Revue des Deux Mondes (octobre 1959)
— Christian Duverger, Cortès, Paris, Fayard, 2000 & Christian Duverger, Cortés et son double, enquête sur une mystification, Le Seuil, 2013
— Los restos de Don Hernando vuelven al nicho donde los colocó Alamán… se explorará el subsuelo del Hospital para buscar los objetos del Conquistador por Miguel Castro Ruíz (Internet, ICI)