Le Lyonnais Juninho Pernambucano : L’élite ne comprend pas l’ampleur des inégalités financières dans le pays et si elles s’aggravent, il y aura de la violence

L’ancien milieu de terrain lyonnais, Juninho Pernambucano, s’est lâché sur le Brésil, son pays natal, dans le quotidien britannique The Guardian. Il a donné son opinion sur le racisme au Brésil (« Il y a des milliers de Georges Floyds au Brésil », mais aussi sur l’effondrement de son pays avec Jair Bolsonaro et sur le rapport à l’argent de ses concitoyens (Les Brésiliens ne pensent qu’à l’argent ! »

Il passe la majeure partie de son temps en France et travaille comme directeur sportif pour l’Olympique Lyonnais.

C’est décapant et émouvant.

Thiago Rabelo qui l’interview à São Paulo écrit : « Nous parlons depuis 30 minutes quand il fond en larmes pour la première fois lors d’une interview qui dure deux heures et demie. La situation dans son Brésil natal est hors de contrôle, le président, Jair Bolsonaro, ayant misérablement échoué à lutter contre le coronavirus. Cette semaine, le pays a enregistré 65 000 décès et enregistré près de 50 000 nouveaux cas en une journée. Le nombre total de cas a dépassé 1,6 million. C’est le deuxième pays le plus touché au monde ».

Antônio Augusto Ribeiro Reis Júnior dit Juninho

Selon l’ancien international, le Brésil est également un pays d’inégalités croissantes et de tensions raciales sous la direction de Bolsonaro, et Juninho discute d’éducation et de dignité lorsque sa voix commence à craquer. « Nous avons un système éducatif médiocre au Brésil », dit-il. « Les riches disent que nous devons investir dans l’éducation — mais comment ? Nous devons lutter contre la faim, c’est ce que [l’ancien président] Lula a dit. Si vous avez faim, vous n’avez aucune confiance. Imaginez un père ou une mère qui ne sont pas en mesure de fournir trois repas par jour à leurs enfants. Mais la dignité est encore plus importante que l’éducation. La dignité humaine est un droit que nous devons tous avoir. Désolé, cela me rend très émotif (…). L’élite brésilienne n’a pas d’empathie et nous apprend à ne pas en avoir aussi ».

« Bolsonaro est une créature de WhatsApp et des fausses nouvelles »

Juninho, au cours de sa carrière a été milieu de terrain du Sport Club do Recife et de Vasco da Gama a estimé en 2018 qu’il ne pouvait plus rester au Brésil. Il a déménagé à Los Angeles pour être avec sa fille, et, un an plus tard, il était de retour en France. Il dit qu’il n’est plus en contact avec « 80 ou 90 % » de sa famille et de ses amis en raison de désaccords sur Bolsonaro et sa politique.

« Au début, vers le deuxième tour de l’élection présidentielle de 2018, j’ai essayé de parler aux gens et de leur montrer des vidéos et tout ce qui se passait », dit-il. « Bolsonaro est une créature de WhatsApp et des fausses nouvelles. Les personnes soutenant Bolsonaro étaient majoritaires et j’ai décidé de m’en éloigner. Je sais que certains d’entre eux regrettent maintenant leur décision. Ils pensaient que Bolsonaro était la seule option ».

Il précise : « L’élite ne comprend pas l’ampleur des inégalités financières dans le pays et si elles s’aggravent, il y aura de la violence. (…) Nous avons de grands journalistes dans notre pays, mais pas un éditeur qui ira de l’avant et publiera des faits précis et la vérité. Plus de 42 millions de personnes n’ont pas voté en 2018. Si la presse brésilienne avait fait son travail, Bolsonaro n’aurait jamais été élu ». La prévalence de fausses nouvelles au Brésil sous Bolsonaro et au cours des deux dernières campagnes électorales est un des sujets sur lesquels le joueur revient sans cesse. Depuis 2014, le Brésil est confronté à une crise politique et, selon lui, « la mise en accusation de la candidate du Parti des travailleurs Dilma Rousseff en 2016 et la victoire électorale de Bolsonaro en 2018 sont les principaux facteurs à l’origine des troubles actuels. Quand vous sortez Dilma d’une manière aussi méprisable, vous brisez une jeune démocratie. Bolsonaro est le résultat d’un juge vantard comme [Sergio] Moro dans l’affaire Lula, une culture de la haine contre le Parti des travailleurs ».

Comment un enfant de huit ans a-t-il pu être abattu par la police ? Comment est-il possible de vivre après ça ?

Il reconnaît cependant qu’il y a maintenant une certaine prise de conscience. En effet, le Tribunal suprême ouvre des enquêtes sur les fausses nouvelles qui ont inondé les médias et les réseaux sociaux. La police fédérale se rapproche du clan Bolsonaro. Slon le footballeur, et il y a quelques semaines, la police a fait une descente dans des adresses liées à Bolsonaro. Juninho essaie d’aider ce combat, mais sans grand succès. « Twitter, Facebook et WhatsApp ont décidé des élections au Brésil ». Pourtant il essaie de répondre sur Twitter ou Facebook et de rétablir la vérité, « Mais je suis fatigué de tout ça ». Il explique : « Regardez combien de chaînes d’extrême droite il y a sur YouTube. Ils obtiennent d’énormes sommes d’argent pour diffuser de fausses nouvelles, mais ils sont [encore] autorisés par YouTube. Je le signale presque tous les jours [aux médias et réseaux sociaux], mais je reçois rarement des réponses ».

« Il y a des milliers de George Floyds au Brésil »

Notre conversation porte sur le meurtre de George Floyd à Minneapolis le 25 mai et le mouvement Black Lives Matter, écrit le journaliste. Plus de la moitié de la population brésilienne s’identifie comme noire et le pays a connu plusieurs cas similaires à celui de Floyd, dont João Pedro, un garçon de 14 ans tué par la police brésilienne en juin, ou Ágatha Félix, qui n’avait que huit ans quand elle a été abattue dans le dos par la police dans une favela de Rio en septembre 2019. « Il s’agit de racisme, une confirmation de la violence que nous avons actuellement dans le pays «  (…) « Comment une enfant de huit ans a-t-elle pu être abattue par la police comme cela s’est produit l’année dernière au Complexo do Alemão ? Comment est-il possible de vivre après ça ? Incroyable. Regardez George Floyd. Il ne pouvait pas respirer. C’est un être humain. Je ne peux pas imaginer comment la police peut faire ça. C’est du racisme et c’est très, très triste (…) Il y a des milliers de George Floyds au Brésil et des milliers d’autres qui souffrent en silence et que nous ne connaissons pas… ».

« Neymar a besoin de grandir. Il ne pense qu’à l’argent »

L’ancien milieu de terrain, connu pour ses incroyables coups francs au cours d’une carrière d’une vingtaine d’années et de quarante sélections, affirme qu’il a beaucoup appris en déménageant en Europe. « Au Brésil, on nous apprend à ne nous soucier que de l’argent, mais en Europe, ils ont une mentalité différente. Inconsciemment, j’ai fait un plan de carrière parce que je voulais aller dans un grand club au Brésil, et pas seulement pour faire du sport. On m’a appris à aller vers qui me paierait le plus. C’est la voie brésilienne ».

« Regardez Neymar. Il a déménagé au PSG juste pour l’argent. Le PSG lui a tout donné, tout ce qu’il voulait, et maintenant il veut partir avant la fin de son contrat. Mais il est maintenant temps de redonner, de montrer de la gratitude. C’est un échange, tu vois. Neymar doit donner tout ce qu’il peut sur le terrain, pour faire preuve d’un dévouement total, de responsabilité et de leadership. Le problème est que l’establishment au Brésil a une culture d’avidité et veut toujours plus d’argent. C’est ce qu’on nous a appris et ce que nous avons appris ».

Neymar est-il fautif ou est-ce la société faute ? « C’est tout simplement ce qu’il a appris. Je dois faire la différence entre Neymar en tant que joueur et Neymar en tant que personne. En tant que joueur, il est dans le top 3 mondial, au même niveau que Cristiano Ronaldo et Leo Messi. Il est rapide, coriace, peut marquer et faire des passes décisives comme un vrai n° 10. Mais en tant que personne, je pense qu’il est coupable parce qu’il a besoin de se remettre en question et de grandir. Pour le moment, cependant, il fait juste ce que la vie lui a appris à faire ».

Juninho a-t-il de l’espoir pour son pays natal ? « Ah, oui, bien sûr, je dois y croire », répond-il. « J’ai grandi à Recife, j’ai vécu à Rio, à Lyon, au Qatar et aux États-Unis. L’endroit que j’aime le plus est le Brésil. Je sais que c’est difficile pour le moment, mais je suis père, grand-père et je veux un monde meilleur. Nous avons de mauvaises personnes, comme la famille Bolsonaro, mais nous avons aussi de bonnes personnes. Nous avons de merveilleux médecins, enseignants et artistes. Mais nous devons changer le plus tôt possible. Nous avons les ressources pour surmonter cela ».

Juninho Pernambucano ou simplement Juninho, à l’État civil Antônio Augusto Ribeiro Reis Júnior, est né en 1975 (45 ans) à Recife, a été un footballeur international brésilien possédant également la nationalité française. Il occupe aujourd’hui le poste de directeur sportif à l’Olympique Lyonnais.

Observé par de nombreux clubs brésiliens de São Paulo et Rio de Janeiro, le Vasco de Gama le sort de l’anonymat du Pernambouc en le recrutant en 1995. Ce club offre une grande médiatisation. C’est un forçat à l’entraînement. Il passe un temps énorme à travailler ses coups francs et est redouté partout au Brésil et en Amérique du Sud.

Le 7 septembre 1999, Juninho est devenu le premier footballeur ayant joué deux matchs professionnels le même jour dans deux pays différents (Porto Alegre au Brésil et Montevideo, capitale de l’Uruguay). Lors de l’été 2001, il signe à l’Olympique après avoir été longuement observé par Marcelo Djian, le recruteur brésilien de l’OL.

Pendant sa carrière de joueur, il est notamment deux fois champion du Brésil et sept fois champion de France avec l’Olympique Lyonnais, pour lequel il inscrit 100 buts. Il est notamment connu pour son talent de tireur de coups francs. Il est notamment le joueur qui en a inscrit le plus (75) devant Pelé (70). Il est également considéré comme le meilleur joueur de l’histoire de l’OL.

Les propos du joueur de football sont très commentés au Brésil