Brésil : L’épidémie de fièvre jaune de 1850 apporta au pays du bois rouge son lot de professeurs Raoult et de complotistes… Déjà !

Le Brésil de Dom Pedro II était serein et tranquille. Le patron des arts et lettres comme il se qualifiait lui-même avait insufflé à l’ancienne colonie portugaise un vent de démocratie envié par ses voisins et même par la vieille Europe. Et puis, fin 1849 : catastrophe ! Un virus dévastateur s’abat sur le pays. Celui de la fièvre jaune, connu à l’étranger notamment en Afrique, mais nouveau pour les Brésiliens à cette époque.

Le virus de la fièvre jaune a pris le gouvernement impérial par surprise et s’est déplacé sans pitié sur les grandes villes de la côte, laissant une traînée de panique et de mort derrière lui.

Des documents historiques conservés dans les archives du Sénat à Brasília montrent que, malgré les destructions que la maladie a provoquées dans l’Empire, il y avait des politiciens qui ont nié la réalité et ont cherché à minimiser la gravité de l’épidémie. Oui, de tout temps il y a eu des Trump et des Bolsonaro !

Port de Rio de Janeiro à la fin du XIXe siècle (Archives Nationales du Brésil, fonds Floriano Peixoto)

Le premier foyer épidémique s’est déclaré en novembre 1849 et fit au moins 4000 victimes durant l’hiver austral.

Dans un discours en avril 1850, au palais Conde dos Arcos, siège du Sénat, à Rio de Janeiro, le sénateur et ancien ministre Bernardo Pereira de Vasconcellos (Minas Gerais) a garanti que la maladie n’était pas si dangereuse et il mit en doute que ce fut la fièvre jaune :  « Je suis convaincu que la population de Rio de Janeiro a pris trop de terreur et que l’épidémie n’est pas aussi dommageable que beaucoup l’ont affirmé. Il aurait peut-être été plus pratique que le Gouvernement n’ait pas créé de lazaretos (dispensaires d’isolement). Je pense même qu’il est nécessaire d’instituer un examen public à cet égard, afin de montrer au Brésil et au monde que la fièvre jaune n’est pas ce qui prévaut aujourd’hui ». Sors de ce corps Jair !

Bon, l’Histoire avec un grand H et la petite retiendront qu’à peine deux semaines après avoir prononcé ce discours, le sénateur Vasconcellos décéda de la fièvre jaune…

En 1850, les journaux rapportent la mort du sénateur Bernardo Pereira de Vasconcellos, victime de la fièvre jaune.

Miguel Calmon du Pin e Almeida,  marquês de Abrantes

Il n’a pas été la seule victime de la maladie au palais de Conde dos Arcos. En l’espace de deux mois, le Sénat a perdu quatre parlementaires. Outre Vasconcellos, les sénateurs Visconde de Macaé (Bahia), Manoel Antônio Galvão (Bahia) et José Thomaz Nabuco de Araújo (Eperitos Santos), grand-père de l’abolitionniste Joaquim Nabuco.

Mais ce ne fut pas suffisant pour refroidir les « négationnistes » et ils se déchaînèrent sur les réseaux sociaux qu’étaient les cafés, les salons, les affiches, les journaux…

Comme aujourd’hui chacun y alla de sa science. Les politiciens devinrent épistémologistes, tel ce sénateur qui prétendit qu’à son avis ce n’était pas la fièvre jaune, car le taux de mortalité était trop faible par rapport à ce qu’il avait observé à l’étranger. Péremptoire, il affirmait : « J’ai 22 personnes dans ma maison et je n’ai pas eu un seul malade, même parmi mes esclaves… ». Bon, un mois plus tard, sa fazenda fut décimée par la fièvre. Toutefois, un parlementaire fit amende honorable. Le sénateur Visconde de Abrantes (Fortaleza, Ceará). Il regretta publiquement avoir nié la virulence de l’épidémie. Il dit avoir pris conscience du fléau quand il fut contraint d’organiser sur son domaine de nombreux enterrements, « bien plus que les années passées à la même époque ».

Le tableau de François-René Moreau montre Dom Pedro II visitant des patients.

Caricature de Revista Illustrada, de 1876, montre la fièvre jaune remerciant les services d’un ministre de l’Empire.

Des statistiques ont été rendues publiques et son toujours consultables à la Bibliothèque nationale et à celle du Sénat : plus de 5000 personnes ont perdu la vie à Rio en cinq semaines. Rien que dans le quartier de Rua da Misericórdia, le taux de mortalité était de 30 % lors de la première semaine de janvier 1850.

Fait remarquable, c’est à cause de cette grande épidémie de fièvre jaune que le Brésil a changé une vieille coutume qui voulait que les cimetières fussent établis aux abords des églises. Dès le printemps 1850, une loi interdisait les tombes dans et autour des églises et exigeait que les nouveaux cimetières soient ouverts loin des centres-villes.

Mais, fort heureusement, les négationnistes, en dépit d’être bruyants, comme en 2020, n’ont pas réussi à l’emporter grâce notamment à la clairvoyance de Pedro II qui jamais ne nia l’importance du mal. Depuis la première épidémie, le gouvernement avait en effet vite compris la gravité de la situation et débloqua les sommes nécessaires à la construction d’hôpitaux de campagne. Le Sénat et la Chambre ont toujours approuvé le déblocage des fonds nécessaires.

Dom Pedro II lui-même a exprimé publiquement sa préoccupation face à l’épidémie. L’empereur a visité les centres d’isolement, et s’est entretenu avec de nombreux malades, rapportent les chroniques de l’époque. Il a ensuite toujours évoqué les dangers liés à la fièvre jaune dans ses discours traditionnels lors de l’ouverture et la fermeture du Sénat et de la Chambre.

Tout comme la fièvre jaune, le choléra et la variole étaient fréquemment mentionnés dans les déclarations du trône. Les trois maladies représentaient le grand goulot d’étranglement sanitaire de l’Empire. Le gouvernement mit en place les premiers bureaux au Brésil dédiés à la prise en charge de la santé publique de manière plus globale. Le pionnier, en 1850, fut la Junta de Higiene Pública, sous l’égide du ministère de l’Empire (équivalent aujourd’hui au ministère de la Justice). Mais les quartiers bourgeois de Rio ou de Salvador les refusèrent. Certains durent être installés et maintenus avec l’aide de l’armée. D’ailleurs, le sénateur du Pernambuco, Visconde de Olinda, n’était pas du tout d’accord quand son collègue Costa Ferreira (Maranhão) fit valoir que les pauvres infectés devaient être soignés avec de l’argent public.

Contrairement à ce que l’on peut penser, le pays (même en Amazonie) était exempt du virus de la fièvre jaune. Le virus est arrivé pour la première fois à Salvador, en septembre 1849, à bord d’un navire battant pavillon américain et qui avait fait escale dans des îles des Caraïbes infectées. Depuis Salvador, la maladie s’est répandue sur la côte brésilienne. Dans la capitale de l’Empire, les premiers enregistrements ont eu lieu en novembre. Depuis, avec une intensité variable, la fièvre jaune entraîna des décès au Brésil pratiquement tous les étés pendant les 60 années suivantes.

En offrant une aide publique, le gouvernement a soulagé les souffrances des patients et même empêché une partie d’entre eux de mourir. Cependant, il n’a pas été en mesure d’empêcher la récurrence des épidémies de fièvre jaune année après année. Les mesures de prévention étaient très inefficaces. Pas à cause de l’incompétence, mais du fait des limites scientifiques de l’époque. On ne savait pas quel était l’agent causal de la maladie ou comment les gens étaient infectés.

Plusieurs années plus tard, à la fin du XIXe siècle, on a découvert que la fièvre jaune était transmise par le moustique appelé plus tard Aedes aegypti (le même qui propage la dengue). Avant, on développa des protections plus ou moins efficaces et parfois même folkloriques. Déjà à cette époque, il y avait pas mal de professeurs Raoult ! Par exemple, en 1874, l’homéopathe Maximiano Marques de Carvalho adressa une lettre au Sénat dans laquelle il annonça qu’il avait développé un dispositif qui, au moyen de l’électricité, libérerait Rio de Janeiro des épidémies. Il a appelé à l’adoption de son « cercle électrodynamique maximal » par le gouvernement. La Commission de la santé publique a cependant compris qu’il était impossible que des « orages artificiels et pacifiques » produits par une telle invention soient en mesure de tuer les germes qui se propageaient dans l’atmosphère. Les médecins étant souvent impuissants face aux épidémies, les malades, désespérés, ont fini par réclamer des traitements non conventionnels, notamment des médicaments sans valeur scientifique, des rituels prescrits par des prêtres, des guérisseurs et des charlatans.

Les anti-vaccins du XIXe siècle se soulève à Bahia…

La situation au Brésil ne changera qu’au début du XXe siècle, pendant la République, lorsque le docteur Oswaldo Cruz, nommé par le gouvernement à la tête de la direction générale de la santé publique, se consacra à la lutte contre le moustique Aedes aegypti. En 1909, Rio de Janeiro fut finalement considérée comme exempt de la fièvre jaune. La découverte du vaccin en 1937 a commencé à éradiquer la fièvre jaune. Après l’isolement du virus en 1927, trois pays (États-Unis, France, Brésil) se lancent dans la recherche d’un vaccin inactivé, ces recherches n’aboutissent pas.

 Vaccin

À partir de 1932, l’Institut Pasteur met au point un vaccin dit vaccin neurotropique. Ce vaccin est largement utilisé en Afrique francophone (au total 14 millions de personnes vaccinées, en 1947). En 1948, ce vaccin est homologué par l’OMS. En 1953, 56 millions de doses sont administrées entraînant un déclin de la fièvre jaune dans les pays francophones, contrairement au Nigéria et au Ghana, pays non vaccinateurs.

Au Brésil, la dernière épidémie s’est produite en 1942. Mais, aujourd’hui, avec les antivax soutenus par Bolsonaro, le risque d’une nouvelle épidémie n’est pas exclu. Chaque jour, on apprend de nouveaux cas, alors que depuis au moins une vingtaine d’années cette fièvre avait disparu. Il se passe le même phénomène avec la poliomyélite qui a été éradiquée à la fin du XXe siècle et qui revient au grand galop.

Aujourd’hui, il est toujours très fortement conseillé aux voyageurs de se faire vacciner contre la fièvre jaune. Normalement, le vaccin est obligatoire dans le Nordeste et le bassin amazonien.

La fièvre jaune, fièvre amarile, typhus amaril, ou vomito negro (vomi noir), est une maladie endémique qui est présente dans une quarantaine de pays de l’Amérique latine, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique subsaharienne. C’est une maladie virale aiguë qui provoque des hémorragies. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que 200 000 personnes sont infectées chaque année par la fièvre jaune et que 30 000 en meurent. La vaccination (dite vaccination anti-amarile) fait l’objet d’une réglementation internationale. Le vaccin est efficace à 95 % selon l’Institut Pasteur. Pendant longtemps, la vaccination était recommandée tous les 10 ans. Actuellement, l’OMS ne recommande plus qu’une seule dose, estimée suffisante pour une protection à vie. Cependant, certains pays n’ont pas encore adapté leur législation. Comme il s’agit d’un vaccin contenant un virus atténué, mais vivant, la vaccination contre la fièvre jaune est déconseillée chez la femme enceinte et l’enfant de moins de 9 mois. Néanmoins, si le risque d’infection le justifie, elle peut être pratiquée pendant la grossesse et chez le nourrisson entre 6 et 9 mois. Lorsque le vaccin contre la rougeole doit être administré, il est nécessaire de respecter un intervalle minimum d’un mois entre les deux vaccinations. Néanmoins, en cas de départ imminent, les deux injections peuvent être rapprochées. Attention : Les donneurs de sang ne doivent pas donner leur sang durant les quatre semaines qui suivent la vaccination.