Avant de rouler au diesel, Volkswagen roulait pour la dictature au Brésil avec l’aide d’un nazi

  Plusieurs syndicalistes et militants de gauche ont été dénoncés par Volkswagen au Brésil à la police secrète, puis arrêtés et torturés par les agents de la sécurité de la dictature sous le régime militaire (1964-1985). Après un accord à l’amiable entre les victimes et le constructeur allemand, le parquet brésilien a ordonné le paiement de réparations aux victimes. Une première qui pourrait bien déclencher d’autres procédures notamment chez Ford (qui vient de quitter le Brésil), General Motors, Mercedes-Benz, ou encore Nestlé, General Electric et Siemens.

La filiale de Volkswagen au Brésil s’est en effet engagée (depuis l’automne 2020) à verser des réparations, individuelles et collectives, en échange du classement de l’enquête sur son rôle pendant la dictature. 5,5 millions d’euros au total, iront aux victimes ou à leurs ayants droit. Le reste financera des initiatives, comme les travaux d’identification des ossements de dissidents disparus ou la création d’un mémorial de la résistance ouvrière, grande oubliée de la dictature. Longtemps l’entreprise allemande a tenté d’échapper à tout recours et même a voulu, à plusieurs reprises, étouffer la moindre tentative mémorielle. Les plaintes contre l’entreprise ont été déposées en septembre 2015, à l’initiative du Forum des travailleurs pour la vérité, la justice et la réparation. En outre, il existe d’autres accusations de collaboration active, ainsi que des plaintes pour exploitation du travail forcé. Le cas de Heinrich Plagge est éloquent.

Heinrich Plagge

Le 8 août 1972, en plein milieu des années de plomb, Heinrich Plagge, fils d’immigrés allemands, chargé du contrôle qualité à l’usine de São Bernardo do Campo, près de São Paulo, est convoqué par son supérieur, Ruy Luiz Giometti, aux côtés duquel deux inconnus l’attendaient. Il s’agit d’hommes de la police politique. Ils l’ont emmené au Département de l’ordre politique et social (DOPS), d’où il a été transféré à la prison de Tiradentes après 30 jours de torture sévère. Lui et les six membres de la cellule communiste de l’usine, à laquelle il appartient, seront arrêtés. Emprisonné, torturé, Heinrich Plagge est relâché quatre mois plus tard, puis licencié sans ménagement. Placé sur une liste de subversifs à ne pas embaucher, il n’a plus jamais retrouvé du travail.

Heinrich Plagge a témoigné peu avant son décès, en 2018, devant le parquet fédéral de São Paulo. Son épouse, Neide Rosa Plagge, a également comparu en tant que témoin à cette occasion et a raconté comment un cadre de VW est venu chez elle cet après-midi du 8 août 1972 et lui a dit que son mari devait partir en voyage d’affaires pour l’entreprise… Ce n’est que des mois plus tard qu’elle a découvert où était son mari. Le témoignage de l’épouse de Plagge s’ajoute à celui de l’ex-métallurgiste de VW, Lúcio Bellentani, qui a été arrêté sur son lieu de travail en présence de la propre sécurité de l’entreprise. Lui aussi s’est retrouvé au centre de torture DOPS.

Heinrich Plagge (1939-2018) photographié à son bureau chez Volkswagen au Brésil dans les années 1960.

Près d’un demi-siècle plus tard, la filiale brésilienne de Volkswagen s’est engagée à verser des réparations, individuelles et collectives, en échange du classement de l’enquête sur son rôle pendant la dictature.

Camouflet pour Bolsonaro

Ces indemnisations sont le résultat d’une difficile négociation de trente-deux mois avec le parquet brésilien. Et c’est aussi un camouflet pour le président, Jair Bolsonaro, ancien capitaine d’artillerie, qui nie toujours l’existence même de la dictature. « Celle-ci a bel et bien existé et cet accord historique en est la preuve ! » explique Tadeu Garcia, président de l’association Heinrich-Plagge, composée d’ex-salariés victimes de Volkswagen. Une soixantaine se sont déclarés à ce jour.

« L’issue d’une procédure judiciaire au Brésil contre Volkswagen aurait été incertaine, explique pour sa part le procureur Pedro Machado, chargé du dossier. Et cela, en raison de la loi d’amnistie de 1979, toujours en vigueur, qui a permis de gracier à la fois les dissidents et les auteurs des exactions ». L’accord entre le parquet brésilien et Volkswagen est donc une façon de contourner cette loi et constitue un précédent dont l’objectif est d’inciter d’autres entreprises ayant collaboré avec le régime, notamment pendant les années de plomb (1972-1980) à verser des réparations.

Un ancien nazi recruté par Volkswagen au Brésil

Lors des tractations entre Volkswagen, le parquet brésilien et les associations de victimes, de nombreux historiens et journalistes ont enquêté et ouvert quelques archives édifiantes. On a alors découvert (ou redécouvert) que l’entreprise allemande avait recruté un ancien officier nazi pour implanter, bien avant l’instauration de la dictature, le dispositif de sécurité et de renseignement au sein de l’usine brésilienne.

Il s’agit de Franz Stangl (1908-1971). Celui-là même qui a commandé les camps d’extermination de Sobibor et de Treblinka !

Franz Stangl (1908-1971)

Le site TracesOfWar (Amsterdam) a collecté des renseignements significatifs sur ce sinistre criminel de guerre : « Franz Stangl est considéré par beaucoup comme le modèle du policier loyal et obéissant en toutes circonstances. En raison de son éducation dans une famille autoritaire et d’une éducation où l’obéissance aveugle était la première priorité, il a accompli ses tâches avec un dévouement méticuleux dont plusieurs centaines de milliers ont été victimes. La vie de Stangl a été celle d’un fonctionnaire discret qui est devenu un rouage conscient de la machinerie de l’Holocauste ».

D’origine autrichienne, Stangl a rapidement gravi les échelons du parti nazi puis de l’administration hitlérienne. Il signait tous ces actes administratifs du pseudonyme Staudt. Ce qui montre bien qu’il était conscient d’envoyer à la mort des milliers de familles et que, peut-être, un jour, il devrait rendre des comptes. À ses débuts, il était particulièrement chargé de la gestion des héritages des victimes juives du nazisme. En 1942, il est chargé de la construction du camp de Sobibor dont il prendra la direction quelques mois avant celle du camp de Treblinka. Puis il passe le restant de la guerre en Yougoslavie et en Italie. Arrêté à Lembach par les Américains en juillet 1945 et détenu au camp de prisonniers de Glasenbach près de Salzbourg. Il était initialement considéré comme un SS qui avait été actif dans la guerre contre les partisans en Yougoslavie et en Italie. Ses activités dans les camps d’extermination en Pologne étaient encore inconnues. Juste avant sa libération en 1947, on s’aperçoit qu’il est un des principaux criminels de guerre. Il est alors transféré à Linz d’où il s’évadera facilement. Il gagne Rome où un évêque catholique l’aide à obtenir un laissez-passer de la Croix-Rouge et un visa pour la Syrie.

En 1951, il émigre avec sa famille au Brésil où Stangl travaille comme tisserand à São Paulo, puis comme technicien dans l’usine textile Sutema. Son épouse trouve un emploi dans le département de l’administration financière de l’usine Mercedes-Benz et grâce à ses contacts, Stangl trouve un emploi en octobre 1959 dans l’usine Volkswagen. Pendant ce temps, ils vivent dans une maison spacieuse dans une banlieue tranquille, sous leur propre nom, enregistré auprès du consulat autrichien. Il met donc en place une sorte de police politique dans la filiale Volkswagen de 1960 à 1965 ou 1966. Il est finalement arrêté en 1967 et extradé vers l’Allemagne. Il est condamné à la prison à vie en 1970. Les militaires brésiliens avaient exigé qu’il ne fût pas condamné à mort.