Plusieurs biographies de personnalités noires brésiliennes ont été censurées sur le site de la fondation Palmares, une institution pourtant chargée de défendre l’héritage culturel noir au Brésil.
Son président noir est un proche de Bolsonaro. À ses yeux l’esclavage fut bénéfique sur le long terme pour les afro-descendants !
Des biographies de plusieurs personnalités noires ont été supprimées ces derniers jours du site Internet de la fondation Palmares, une institution gouvernementale, située à Brasília, rapporte le quotidien brésilien Folha de São Paulo. Une censure surprenante vu qu’elle émane d’une institution défendant l’héritage culturel noir dans le pays depuis plus de trente ans. Plusieurs articles portant sur la vie de figures abolitionnistes comme Luiz Gama, André Rebouças, mais aussi l’écrivaine Carolina de Jesus ont disparu du site officiel. Plus symbolique encore, la biographie de Zumbi dos Palmares, leader de la lutte contre l’esclavage (XVIIème siècle) qui a donné son nom à l’institution, a également été censurée. De même, une statue à son effigie située à l’entrée de la fondation a été déboulonnée, précise le journal brésilien.
À la tête de la fondation Palmares figure Sergio de Camargo, « noir de droite » selon sa propre expression, et ancien journaliste connu pour ses saillies racistes. Ce proche de Bolsonaro a régulièrement déclenché des polémiques, assurant par exemple qu’il n’y a pas de « véritable racisme » dans le pays, mais un « racisme Nutella », autrement dit édulcoré, minimisant l’importance de ce fléau au Brésil. À ses yeux encore, l’esclavage certes « terrible » fut, néanmoins, « bénéfique » sur le long terme pour les afro-descendants.
Noir, Camargo, patron de la fondation ne cesse de manier la provocation
Sans surprise, sa nomination à la tête de la fondation en novembre 2019 par le secrétaire d’État à la culture du gouvernement Bolsonaro avait suscité la colère des défenseurs de la cause noire. Des centaines de militants s’étaient ainsi rassemblés devant le siège de l’institution, refusant ce qu’ils considéraient comme une provocation. Malgré un premier recours de la justice fédérale suspendant son arrivée, Sergio Camargo a pu finalement prendre ses fonctions en début d’année. Et continuer ses provocations.
Zumbi Dos Palmares
Zumbi Dos Palmares, né en 1655 et mort le 20 novembre 1695, fut l’un des chefs de guerre les plus importants du royaume autonome des Palmares. Voir encadré
Finalement, le secrétaire adjoint à la culture, Pedro Horta, a fait une courte déclaration pour « saluer le travail accompli par le président de la Fondation Palmares, Sérgio Camargo. C’est un honneur pour nous de visiter Palmares. Sérgio, notre président, y fait un excellent travail pour défendre les intérêts de la nation », a-t-il déclaré dans une vidéo.
À peine nommé, Camargo avait ordonné la publication le 13 mai (date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage au Brésil) la publication de plusieurs articles remettant en cause la figure de Zumbi dos Palmares.
Zumbi Dos Palmares
Zumbi Dos Palmares, né en 1655 et mort le 20 novembre 1695, fut l’un des chefs de guerre les plus importants du royaume autonome des Palmares, fondé au xviie siècle par des esclaves insurgés dans le nord-est du Brésil. Le Palmares ou le Quilombo dos Palmares fut, durant la plus grande partie du XVIIe siècle (1605-1694, mais l’histoire qui y est relative va de 1580 à 1710), le plus organisé et le plus durable des territoires autonomes d’esclaves marrons, ou quilombos en portugais du Brésil. Au début du XVIIe siècle, des esclaves noirs travaillant sur les plantations de canne à sucre dans la capitainerie du Pernambouc, dans le Nordeste du Brésil, se révoltent et s’enfuient dans les montagnes. C’est alors qu’ils fondent Os Palmares, A Angola Janga ou Nova Angola, aux alentours de la montagne Barriga, un territoire autonome d’esclaves libres où vivaient aussi des Indiens, des Mulâtres et de nombreux Blancs. Ces derniers étaient des soldats déserteurs ou des paysans sans terre. Le site se trouve à Serra da Barriga dans le Ceará actuel. Zumbi serait né aux alentours de 1655 dans l’état d’Alagoas. Vers 1662, alors qu’il est encore enfant, il est fait prisonnier par des soldats portugais aux frontières du territoire autonome, lors de l’expédition de Bras da Rocha Cardoso. Par une chance inouïe, il échappe à la mort, et est remis, à l’âge de quelques jours, au père Jésuite Antonio Melo, à Porto Calvo. Celui-ci le baptise et lui donne son nom chrétien : Francisco. Dès 1675, âgé de vingt ans, il se révèle être un stratège et un chef militaire de qualité lors des luttes contre les soldats du sergent Manuel Lopes, notamment lors d’une bataille entre les troupes portugaises et les esclaves locaux. Trois ans plus tard, Pedro Almeida, le gouverneur de la capitainerie de Pernambuco tente de parvenir à un accord avec un autre dirigeant du quilombo, Ganga Zumba.
En échange de la paix entre les esclaves et les troupes, Almeida propose que le quilombo soit détruit. Zumbi rejette la proposition. Pendant 14 ans, entre 1680 et 1694, Zumbi a dirigé la République de Palmares en repoussant les attaques des troupes portugaises. Cependant, en 1694, avec le soutien de l’artillerie, les Portugais battent Zumbi et détruisent la République de Palmarès. Blessé et vaincu à Cerca do Macaco, Zumbi parvient toujours à échapper à l’armée portugaise commandée par Domingos Jorge Velho et Vieira de Mello, jusqu’à ce qu’il soit dénoncé par un ancien compagnon. Zumbi a été arrêté et décapité le 20 novembre 1695. Dans environ 2000 municipalités du Nordeste, cette date du 20 novembre est un jour férié.
53 % des Noirs pensent que Bolsonaro est bon, voire excellent
Depuis une loi de 2012 promulguée sous Dilma Rousseff, le Brésil réservait la moitié des places dans les universités aux étudiants venant d’écoles publiques. Ces quotas raciaux comprenaient un nombre de places réservées aux Noirs, aux Métis et aux Indiens et proportionnelles à la composition de la population de chaque État du pays. Une mesure qui a été révoquée le 18 juin dernier par l’ancien ministre de l’Éducation, Abraham Weintraub. Celui-là même qui vient de démissionner et qui est parti aux États-Unis vendredi, au lendemain de sa démission-limogeage. Lire sur ce site.
Parmi les 54 % de Brésiliens noirs ou métis, seuls 5 % occupent des postes d’encadrement, selon l’Institut Brésilien de Géographie et Statistiques (IBGE). Malgré ces discriminations, la communauté noire est politiquement très divisée. Selon un sondage publié en décembre par l’institut Datafollah, près de la moitié (46 %) des afro-descendants juge le gouvernement Bolsonaro « mauvais ou terrible », quand une majorité (53 %) le trouve soit « normal » (33 %), soit « bon ou excellent » (20 %).
Comment expliquer une telle divergence d’avis ? “Bien que le mouvement de défense de la communauté noire se cale sur celui des États-Unis, il reste structurellement différent. Au Brésil, il y a une continuité de couleurs de peau. Le recensement de la population se fait à travers six termes branco (blanc), pardo ou morene (métisse), preto (noir), amarelo (asiatique), indigène ou indien. « Il n’y a pas deux blocs qui s’affrontent », explique Théry Hervé, directeur de recherche au CNRS-Creda, professeur à l’université de São Paulo, contacté par France 24.
Sources : UOL, Folha de São Paulo, France 24, Globo, historiadomundo, Sinpro-BA, IBGE et Institut Vargas