Archéologie : Une dizaine de millions de personnes peuplaient la forêt amazonienne sur un maillage important de petits villages

 

L’UMR 8096 est le seul laboratoire français où sont développées des recherches archéologiques sur l’Amazonie. Ces recherches portent essentiellement sur les terrassements précolombiens, les techniques agricoles anciennes et l’interaction entre les hommes et la nature.

Les plus anciennes traces humaines en Amazonie sont datées d’il y a 10 000 ans environ. Par la suite, des processus importants pour l’homme sud-américain vont peu à peu se dérouler en Amazonie : l’apparition de la céramique, la complète sédentarisation et la domestication des plantes, puis l’éclosion de populations complexes et stratifiées. Les fouilles archéologiques dans la partie brésilienne de l’Amazonie laissent peu de place au doute : loin d’être une forêt vierge, la région était en fait densément peuplée.

Pendant longtemps, une idée répandue, notamment au XIXe siècle, voulait que l’Amazonie fût une forêt vierge, quasi inhabitée. Mais des fouilles archéologiques ont démontré le contraire. Conduites dans la partie brésilienne, ces recherches prouvent que près de dix millions de personnes y vivaient, probablement bien avant l’arrivée des premiers colons espagnols et portugais au XVIe siècle. Oui, 10 millions !

Cette immense forêt équatoriale et tropicale a longtemps été négligée par les archéologues, qui considéraient que le milieu difficile avait provoqué un sous-développement précolombien, aucune société avancée n’ayant pu s’y épanouir. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien et, qu’au contraire, des civilisations très raffinées ont vu le jour à des époques reculées en Amazonie.

Les scientifiques ont mis au jour des fragments d’objets en céramique ou de pierres taillées au cœur de la forêt nationale de Tefé.

« Au début, nous pensions être en présence d’un seul site au bord d’un lac, mais il y en avait de nombreux autres. C’est un vrai complexe archéologique », a expliqué à l’AFP l’archéologue Rafael Lopes, chercheur à l’Institut de développement durable Mamiraua (Brésil). La zone aurait même été habitée par au moins cinq peuplements différents, dont les communautés actuelles.

Les chroniques de voyageurs qui ont descendu l’Amazone aux XVIe et XVIIe siècles font état de populations importantes, de milliers de personnes habitant des villages étendus, à moins d’une demi-heure de marche les uns des autres, en particulier dans la zone de Tefé. Mais, entre les campagnes de conquête et les maladies apportées par les colons, les populations locales ont été décimées. Du coup, lorsque d’autres Européens se sont rendus en Amazonie au XIXe siècle, ils ont pensé que la région était inhabitée.

« Pour préserver la forêt, il est nécessaire de l’occuper de manière écologiquement responsable, sans l’endommager »

Selon Rafael Lopes, ces populations auraient beaucoup à nous apprendre, notamment en termes de développement durable. « Le problème n’est pas la densité humaine, mais la logique de l’occupation. Et la logique qu’on veut imposer aujourd’hui c’est de conserver le moins possible et de détruire le plus possible pour faire de la place au bétail, au soja et autres monocultures, avec les incendies qui détruisent l’environnement », affirme-t-il. Avant de continuer :

« Pour préserver la forêt, il est nécessaire de l’occuper de manière écologiquement responsable, sans l’endommager [au moment où le gouvernement de Jair Bolsonaro préconise l’autorisation des activités agricoles et minières dans les réserves indigènes et autres zones protégées]. Toutes les données montrent que la préservation de la forêt a besoin de ces populations, des terres indigènes, des réserves environnementales avec les populations riveraines du fleuve. Nous devons mieux comprendre la manière dont les populations d’origine ont habité et habitent la forêt et nous devons nous servir de ces modèles. Et pas seulement en Amazonie. Cela peut nous permettre de préserver et même de récupérer d’autres biomes, une tâche importante, principalement dans le contexte de cataclysme climatique que nous vivons actuellement ».

Tefé

Aujourd’hui, Tefé est une ville brésilienne du Centre de l’État de l’Amazonas (Amazonie). Elle se situe à l’embouchure du Lac Tefé (et du Rio Tefé) dans le Rio Solimões, entre Manaus et les frontières péruvienne et colombienne. C’est une petite ville isolée d’environ 57 000 habitants. Accessible cependant par avion et par les voies fluviales. D’ailleurs le bateau (barques, pirogues petits navires) est le principal moyen de communication dans cette commune et aux alentours, à 500 km de Manaus, la capitale de l’État. C’est la dernière trace d’urbanité pour les chercheurs qui s’aventurent dans la réserve de développement durable de Mamiraua. La centrale électrique de la ville fonctionne au diesel, carburant cher et polluant qui vient de Manaus. La connexion internet arrive via satellite. Imaginez alors son isolement il y a quatre ou six siècles !

Cela n’a pas empêché le développement d’un véritable complexe pré-urbain composé de petits villages. La zone aurait même été habitée par au moins cinq peuplements différents, dont les communautés actuelles.

Les fouilles de 2018/2020 ont permis de retrouver des fragments d’objets en céramique ou de pierres taillées sur de vastes superficies de la forêt de Tefé, zone protégée au cœur de l’Amazonie brésilienne. D’après des études scientifiques, entre huit et dix millions de personnes vivaient dans l’ensemble de l’Amazonie avant l’arrivée des premiers Espagnols et Portugais. Ces hommes blancs ont apporté avec eux des maladies qui sont devenues épidémiques et se sont lancés dans des campagnes de conquête qui ont décimé les populations locales. Ainsi, les naturalistes européens qui se sont aventurés dans la région au XIXe siècle ont-ils pensé que l’Amazonie était un biome quasiment vierge. Mais dans les années 1980, cette théorie a commencé à être battue en brèche. Et les expéditions de Rafael Lopes ont apporté des éléments supplémentaires.

« Le problème n’est pas la densité humaine, mais la logique de l’occupation. Et la logique qu’on veut imposer (aujourd’hui) c’est de conserver le moins possible et de détruire le plus possible pour faire de la place au bétail, au soja et autres monocultures, avec les incendies qui détruisent l’environnement ».

« Toutes les données montrent que la préservation (de la forêt) a besoin de ces populations, des terres indigènes, des réserves environnementales avec les populations riveraines du fleuve », ajoute Rafael Lopes. Pour l’archéologue, « nous devons mieux comprendre la manière dont (les populations d’origine) ont habité et habitent la forêt et nous devons nous servir de ces modèles, et pas seulement en Amazonie ». Les habitants originels, avec leurs techniques de développement durable des ressources naturelles ont eu un impact positif sur la biodiversité et auraient beaucoup à enseigner aux habitants d’aujourd’hui, estiment les chercheurs.

« On trouve des centaines d’espèces (végétales) avec un degré ou un autre de domestication et aujourd’hui certaines d’entre elles sont les plus communes de toute l’Amazonie », explique Rafael Lopes.

Pour préserver la forêt, il est nécessaire de l’occuper de manière écologiquement responsable, sans l’endommager, prévient M. Lopes, au moment où le gouvernement de Jair Bolsonaro préconise l’autorisation des activités agricoles et minières dans les réserves indigènes et autres zones protégées.

Et les expéditions de Rafael Lopes ont apporté des éléments supplémentaires. Le travail sur le terrain, réalisé avec 40 autres personnes, a alimenté la thèse de doctorat des deux codirecteurs : Rafael Lopes, de l’Université de São Paulo (USP), et la botaniste Mariana Cassino, de l’Institut de recherches amazoniennes (INPA).

Dans la prochaine phase des recherches, des milliers d’échantillons de céramique ou de pierres seront analysés pour voir s’ils corroborent l’hypothèse des chercheurs.

O Instituto Nacional de Pesquisas da Amazônia (INPA) a été créé en 1952.